"Identités en chantier" : conflit silencieux par Elli Lorz

Diplômée des Beaux-arts de Valence, la photographe Elli Lorz livre, avec l'exposition "Identités en chantier" à voir à la galerie Ex Nihilo, une série éloquente sur les stratégies d'occupation déployées par le gouvernement marocain au Sahara occidental. Une réussite à tous points de vue.


Comment rendre compte par l'image d'un conflit quasi-invisible, celui qui oppose depuis plus de quarante ans les peuples sahraouis à l'État marocain ? Voilà une des questions à laquelle tente de répondre Elli lorz dans sa remarquable exposition Identités en chantier. En introduction de celle-ci, l'artiste revient brièvement sur l'historique de ce conflit : ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental a été illégalement annexé en 1975 par le Maroc qui ne cesse depuis d'intensifier son processus de colonisation. En se livrant à une bataille démographique via des campagnes de peuplement, le gouvernement marocain vise à gommer l'identité sahraouie dont les représentants peinent à revendiquer leur droit à l'autodétermination.

C'est en traversant la région à vélo lors d'un périple itinérant qu'Elli Lorz découvre les nombreuses traces qui témoignent de ce conflit ignoré. Elle décide alors de revenir sur place pour se consacrer de manière aussi déterminée que discrète à ce projet photographique d'envergure mais risqué. Car au Maroc, on ne rigole par avec la question ‒ les activistes sahraouis sont sévèrement réprimés et toute démarche abordant le sujet est considérée comme une « atteinte à la sécurité intérieure ».

Photogénie du non-spectaculaire

Consciencieusement, Elli Lorz a procédé, pour ce projet, à un relevé attentif des éléments du paysage, souvent infimes ou parfois totalement loufoques (expérimentations de gazon sur sable en vue de l'implantation d'un golf par exemple), qui illustrent des enjeux de pouvoir : drapeaux, affiches, architectures, infrastructures… Le désert, territoire habituellement silencieux, devient ici porteur d'indices qui nous racontent un conflit dont les armes sont des engins de chantier.

La photographe adopte pour chacun de ces sujets un point de vue qui concilie judicieusement approche documentaire et portée symbolique. Ainsi, dans ses clichés, les villes nouvelles destinées à accueillir les colons marocains apparaissent souvent de manière inquiétante, à l'horizon ‒ menaçant autant le paysage désertique que la culture sahraouie. Au-delà des questions identitaires, cette série incite à une réflexion sur les images en nous rappelant qu'un sujet d'actualité peut être photogénique sans nécessairement être spectaculaire. On pourra alors s'interroger : faut-il qu'un sujet soit spectaculaire pour être médiatisé ?

Elli Lorz – Identités en chantier
À la galerie Ex Nihilo jusqu'au samedi 16 février


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