Décret son : the sound of silence ?

Alors qu'un nouveau "décret son" impose depuis octobre dernier aux diffuseurs de musique (salles de concert, clubs et festivals) des mesures toujours plus drastiques en matière de régulation du niveau sonore, beaucoup s'inquiètent de ses conséquences artistiques, techniques et économiques sur leur activité. Petit tour d'horizon de la question avec quelques-uns des acteurs grenoblois du secteur. Par Stéphane Duchêne et Aurélien Martinez


« Hello darkness my old friend... I've come to talk with you again. » C'est un peu l'ouverture du morceau The Sound of Silence de Simon & Garfunkel qui semble courir dans les têtes des différents diffuseurs de musiques actuelles depuis octobre, date de la mise en application du nouveau décret son n°2017-1244 du 7 août 2017 (voir ci-dessous). Un texte dont la plupart des mesures pourraient bien réduire ces diffuseurs au silence, ou en tout cas à quelque chose qui, pour une salle de musiques actuelles (et donc la plupart du temps amplifiées), s'en rapproche dangereusement.

Parmi ces mesures, qui concernent également les festivals (y compris en plein air), l'obligation de « ne pas dépasser des niveaux de pression acoustique continus équivalents à 102 décibels pondérés A (...) et 118 décibels pondérés C [en gros, les basses – NDLR] sur 15 minutes », quand le niveau sonore à respecter était jusqu'ici de 105 dB. Si, sur le papier, la différence paraît infime, en réalité, elle est énorme. De l'avis de la plupart des acteurs concernés, c'est un peu le problème de cette loi : elle est difficilement applicable. Pierre Dubois, directeur technique de la Belle électrique, est de cet avis. « Ce décret prend en compte les basses. Et honnêtement, là-dessus, on ne sait pas trop où l'on va, à part que l'on doit baisser. La grosse problématique, c'est comment mesurer ça et quel impact ça va avoir pour le public et les artistes. »

« On demande de tout baisser qu'importe le genre »

Les salles ont tout de même commencé à s'équiper, sans forcément trop savoir où aller. À l'Ampérage par exemple, l'équipe a pris les devant en achetant « sur nos fonds propres » (aucune aide n'a été prévue par le législateur) dès l'été dernier un afficheur dB-mètre et un limiteur comme nous l'a expliqué David Bonnat, le régisseur de la salle associative, qui constate déjà les conséquences de ce décret. « C'est surtout pour l'accueil de groupes internationaux que ça pose des problèmes, comme les Anglo-Saxons par exemple qui n'ont pas du tout l'habitude d'être limités – ils jouent souvent à fond. En France, ils ont l'impression d'être comme en Suisse où c'est encore plus restrictif et de ne pas pouvoir faire tout ce qu'ils veulent dans la sonorisation. »

Un décret qui dépasse donc, selon lui, le cadre de la santé publique pour affecter l'artistique, vu qu'il vise implicitement toutes les musiques qui génèrent beaucoup de basses : le dub, la techno ou encore la bass music vont maintenant devenir plus compliqués à programmer. « On demande de tout baisser qu'importe le genre alors que certaines musiques demandent beaucoup de volume sonore. C'est comme demander à un peintre de faire les mêmes tableaux avec moins de peinture, moins de couleurs… Forcément, ce sera de moins bonne qualité ! »

« Faire de la pédagogie serait plus approprié »

Bien sûr, le milieu musical doit aussi remettre ses pratiques en question, comme nous l'a affirmé Adrien Virat, technicien son qui travaille avec les groupes Lalala Napoli et No Mad ? et la salle de concert la Bobine. « Je pense qu'il y a malheureusement pas mal d'excès dans le son – même si beaucoup de gens font ça très bien –, et ça favorise une réglementation restrictive de la sorte. Alors que ça devrait être à chacun de se responsabiliser. Il y a par exemple beaucoup de concerts qui sont démesurément forts dans des styles qui ne le nécessitent pas. » Mais la grande majorité des professionnels que nous avons rencontrés trouvent cette nouvelle mesure absurde, comme Pierre Desenfant, ingénieur du son cité par Le Petit Bulletin Lyon. « En prenant en compte les fréquences graves, on enlève le côté percussif du son pour ne laisser que les fréquences qui font mal. »

Ce qui fait même dire à David Bonnat de l'Ampérage que les pouvoirs publics se trompent de combat. « Je ne pense pas que ça soit dans nos salles que les gens se font le plus mal aux oreilles. Le volume est fort, certes, mais il est de bonne qualité. Alors qu'un ado qui met un casque bas de gamme à fond dans le tram, c'est beaucoup plus dangereux. Faire de la pédagogie serait plus approprié, en expliquant aux jeunes qu'il faut se protéger, qu'il ne faut pas mettre des casques intra-auriculaires de mauvaise qualité, que le volume sonore doit être mesuré…. »

Frédéric Lapierre, directeur de la Belle électrique, est sur la même longueur d'onde. « C'est un texte fait par le législateur qui ne prend pas du tout en compte la réalité du terrain. » Et va même plus loin. « Je pense que tout ça est aussi beaucoup lié à la tranquillité publique : si le texte et la discussion sont aussi prégnants depuis des années, c'est que derrière, en filigrane, on a une question de tranquillité publique dans les centres-villes, aux alentours des clubs et des salles… C'est donc aussi un moyen de baisser le niveau général de la vie la nuit. »


« Un texte difficilement applicable »

Trois questions à Malika Séguineau, directrice du Prodiss, syndicat national du spectacle musical et de variété en première ligne sur le front des difficultés posées par le nouveau décret son.

Quels sont les principaux problèmes identifiés par le Prodiss dans le texte de ce nouveau décret son ?

Malika Séguineau : Il y a pour la première fois une limitation des basses fréquences à 118 dBC, ce qui pose le problème de leur mesure, mais met aussi en péril l'expression scénique de certaines esthétiques. Respecter 118 dBC sans dénaturer la musique revient à passer bien en dessous de 102 dBC. Il y a également l'extension de l'étude d'impact sonore aux lieux de plein air, aux festivals. Mais comment mesurer à l'avance l'impact sonore des festivals compte tenu des variables météo ? Cela obligerait à une limitation telle que cela rendrait impossible la musique en plein air. Et, même si l'on arrive à rendre tout cela réalisable techniquement, se pose également la question du coût pour des entreprises déjà fragilisées. Or aucune aide n'a été prévue à ce jour.

Comment expliquez-vous qu'il ait été fait si peu de cas des remarques des professionnels en amont de l'adoption de ce texte ?

Je ne peux pas dire qu'il n'y a pas eu de concertation : préalablement à la publication du texte – en plein mois d'août 2017, il faut le rappeler –, il y a eu un certain nombre de réunions importantes durant lesquelles nous avons pu, avec AGI-SON [association œuvrant pour la défense de l'écoute et la pratique de la musique dans le respect des réglementations en vigueur – NDLR], faire plusieurs propositions. Mais finalement, dans les discussions entre les ministères de la Culture, de l'Écologie et de la Santé, la Culture a perdu son combat et nous avons pu constater que le texte ne reflétait absolument pas les derniers échanges dans lesquels les professionnels émettaient un certain nombre de réserves surs on réalisme, en rappelant à la fois l'objectif de santé publique mais aussi la réalité de nos entreprises et de l'activité musicale.

Que demandez-vous ?

Il faut repartir sur la rédaction de ce texte. Il n'est pas question pour nous de voir un arrêté publié sur la base d'un texte qui pose autant de questions. Et, en attendant, l'instauration d'une période transitoire qui permette aux professionnels de fonctionner sans être inquiétés. Le ministère de la Culture soutient cette demande et nous espérons que les autres ministères autour de la table se remettent très vite au travail. Nous avons beaucoup œuvré avec AGI-SON et les professionnels techniques et sommes à même de faire des contre-propositions qui soient entendables et réalisables.

Interview en version longue sur le site du PB Lyon


Les principales mesures du nouveau décret son

Art. R. 1336-1

I. Les dispositions du présent chapitre s'appliquent aux lieux ouverts au public ou recevant du public, clos ou ouverts, accueillant des activités impliquant la diffusion de sons amplifiés (…)

II. L'exploitant du lieu, le producteur, le diffuseur qui, dans le cadre d'un contrat, a reçu la responsabilité de la sécurité du public, ou le responsable légal du lieu de l'activité qui s'y déroule, est tenu de respecter les prescriptions suivantes :

- Ne dépasser, à aucun moment et en aucun endroit accessible au public, les niveaux de pression acoustique continus équivalents à 102 décibels pondérés A sur 15 minutes et 118 décibels pondérés C sur 15 minutes (…)

- Enregistrer en continu les niveaux sonores en décibels pondérés A et C auxquels le public est exposé et conserver ces enregistrements

- Afficher en continu à proximité du système de contrôle de la sonorisation les niveaux sonores en décibels pondérés A et C auxquels le public est exposé (...)

- Créer des zones de repos auditif ou, à défaut, ménager des périodes de repos auditif (…)


<< article précédent
Vincent Villenave : « Faire que le Grand Angle rayonne encore plus sur le Pays voironnais »