Jon Spencer : le bel électrique

En solo pour la première fois de son histoire, le bestial Jon Spencer est revenu l'an dernier nous casser la gueule à coups de hits dans la droite lignée de tout ce qu'il a pu produire en plus de 30 ans d'éruptions blues. KO à prévoir dans une Belle électrique qui n'aura jamais si bien porté son nom – bon, finalement, ce sera à l'Ampérage,  mais l'idée est la même !


À 53 ans dont à peu près 35 pris entre les feux des innombrables projets qui ont jalonné une carrière aussi hyperactive que schizophrène (The Honeymoon Killers, Pussy Galore, The Jon Spencer Blues Explosion, Boss Hog, Heavy Trash, Spencer Dickinson...), Jon Spencer n'avait jusqu'ici même pas trouvé cinq minutes pour enregistrer le moindre album solo. Sans doute parce que le trash bluesman états-unien ne s'épanouit que dans la friction, les étincelles et la violente ébullition produites par l'émulation collective.

L'impair, si l'on peut dire, est désormais réparé, le James Brown blanc blues ayant livré en 2018 ce que les medias anglo-saxons appellent non sans malice son "debut album". En solo donc – ce qui ne change pas grand-chose au schmilblick maison. Un album savoureusement intitulé Jon Spencer chante les hits (Jon Spencer sings the Hits en VO), comme n'importe quel best of de n'importe quel squatteur de Top 50 ou autre billboard.

S'avançant masqué d'ironie avec un titre doublant l'effet de celui de l'album, I got the Hits, comme pour feindre par antiphrase de n'en avoir jamais produit, Spencer ne livre pas moins, avec ce disque sous-titré « The world's most beloved melodies on one long-playing high fidelity recording », une œuvre ramassée (12 titres, 33 minutes, ouverture de pochette comprise) bourrée de tubes à la mode de Jon.

Gilles de la Tourette

Soit la quintessence de ce funk blues dépouillé (guitare, basse, batterie, riffs, fuzz, breaks à se démettre la hanche en téflon), harangueur et éructant, qui fit jadis le sel d'albums comme Acme ou Now I Got Worry (et d'à peu près tous les autres). Comme à la parade et comme d'habitude, ce cabot enragé de Spencer feule tel le tigre en rut des paroles saccadées aux airs de slogans aussi absurdes que rassembleurs où l'impératif et le performatif règnent en maîtres absolus, genre (pris au hasard) « Kick that can / Do the trash can », « You should get free », « Set the wayback machine for never »... Comme autant de refrains de cette poésie-coup de boule assénée par un showman jouant frénétiquement avec une pelote de nerfs, la sienne, comme on tripote un sextoy.

Pourtant, tout ne semble pas gratuit dans ces éructations comme sponsorisées par Gilles de la Tourette. Ainsi, lorsqu'il harangue « Your shit is so fake / You look like something that got left outside, too long / Spoiled / Rotten / Bad / Gone bad / You're bad », Spencer semble assez évidemment refaire le portrait de celui qu'il n'hésite pas à surnommer en interview « The orange piece of shit » – on ne vous fait pas de dessin.

Car si sa langue et son langage musical minimaliste n'ont guère bougé d'un iota depuis toutes ces années, c'est aussi parce que Spencer, en solo ou pas, ne s'est jamais résigné à les remiser là où on ne les trouvera jamais : dans la poche de pantalons de toute manière bien trop serrés.

Jon Spencer & The Hitmakers
À la Belle électrique jeudi 16 mai à 20h (concert déplacé à l'Ampérage)


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