"Jean-Marc Rochette, artiste au sommet" : montagn'art

Avec "Jean-Marc Rochette, artiste au sommet", le Musée de l'Ancien Évêché se penche sur le versant montagnard de la production de l'auteur du "Transperceneige" et d'"Ailefroide, altitude 3954". Une exposition qui réunit bien naturellement de nombreuses planches de bandes dessinées et des esquisses préparatoires, mais également des peintures et des aquarelles qui nous en mettent plein la vue. Visite guidée.


Plébiscitée aussi bien par le public que par la critique, la bande dessinée autobiographique Ailefroide, altitude 3954, sortie l'an passé, raconte la progressive découverte de l'alpinisme par un jeune Grenoblois au début des années 1970. Avec une première riche section consacrée à cet ouvrage dont le succès éditorial a surpris l'auteur lui-même, l'exposition Jean-Marc Rochette, artiste au sommet nous plonge dans l'univers montagnard du dessinateur et nous dévoile les différentes étapes nécessaires à la création d'une bande dessinée dont le processus de fabrication s'apparente à une forme d'artisanat.

Les planches originales, en grands formats, sont présentées à côté du story-board : un choix qui permet de mieux saisir comment l'art du bédéiste consiste à concilier le découpage séquentiel de son histoire et la composition de chacune de ses planches – les esquisses colorées du story-board permettant d'avoir un aperçu général des grandes masses. En complément de cet ensemble remarquable de dessins, une vitrine expose l'attirail nécessaire à la pratique de l'escalade ainsi que quelques photographies bien vintages qui amuseront certainement les amateurs.

« La montagne est une bibliothèque d'objets abstraits »

Toujours avec pour sujet le monde alpin, la deuxième section de l'exposition nous invite à découvrir la production, moins connue, de peintre et d'aquarelliste de Jean-Marc Rochette. Dans ces œuvres nerveuses, la montagne apparaît souvent comme un prétexte pour travailler la texture de la peinture à l'huile ou la transparence propre à l'aquarelle, au point que ces représentations paysagères basculent parfois vers l'abstraction. « La montagne est une bibliothèque d'objets abstraits » raconte Jean-Marc Rochette. Ses toiles matièristes s'apparentent alors à d'imposantes parois picturales et donnent lieu à des compositions expressionnistes qui n'étonnent pas de la part de quelqu'un qui, enfant, se rendait au Musée de Grenoble pour contempler Le Bœuf écorché de Chaïm Soutine – dont on imagine qu'il s'est profondément imprégné.

Quant aux aquarelles, si elles proposent des visions plus éthérées du paysage montagnard, elles mettent en lumière la touche enlevée, proche de l'esquisse, de Rochette. Requérant une rapidité d'exécution qui n'autorise pas l'erreur, la maîtrise de cette technique s'approche de celle de l'escalade qui nécessite d'être vif mais de ne jamais se précipiter. Rochette excelle à l'utiliser pour saisir des effets atmosphériques souvent fugaces en haute montagne, comme l'illustre une vidéo assez fascinante qui propose un diaporama dans lequel des images extraites de BD, des aquarelles et des photographies s'entremêlent et fusionnent lentement de manière assez hypnotique. De quoi nous démontrer que si le bédéiste se nourrit du travail du peintre et inversement, chaque mode d'expression a ses spécificités propres dont Rochette sait judicieusement tirer parti.

Vertige graphique

Le parcours de l'exposition se termine en beauté avec, dans la chapelle du musée, une présentation des planches du Loup, dernier ouvrage de Jean-Marc Rochette qui vient tout juste d'être publié. Avec cette BD, le Grenoblois semble tirer doublement profit de sa récente installation dans un village perdu au fin fond de l'Oisans. Il vit donc aujourd'hui au plus près de l'univers de la montagne qui le fascine depuis son enfance et dont l'atmosphère et les histoires nourrissent son travail. Et cela lui permet également une productivité décuplée, favorisée par un isolement propice à la concentration. En effet, non seulement Jean-Marc Rochette a produit l'ouvrage qui nous intéresse en un temps record, mais en plus, il sort conjointement un nouvel album du Transperceneige, bande dessinée post-apocalyptique démarrée dans les années 1980 et récemment adaptée au cinéma.

Mais revenons à nos moutons dont l'attaque d'un troupeau sert de point de départ à cette histoire de confrontation entre un berger et un loup et dont le territoire des Écrins fait office d'arène. Ce récit, loin d'être manichéen comme le prouvent les nombreuses planches présentées dans l'exposition, soulève la complexité des rapports que l'Homme entretient avec la nature. Jean-Marc Rochette s'évertue ainsi, tout au long de son récit, à témoigner comment celle-ci est à la fois une menace et une source vitale. Servi par un graphisme nerveux et acéré qui retranscrit particulièrement bien l'univers glacial et vertigineux de la haute montagne, Le Loup propose une réflexion ouverte sur la question de la possible cohabitation entre les hommes et les animaux. Tout à fait d'actualité en plus d'être du grand art.

Jean-Marc Rochette, artiste au sommet
Au Musée de l'Ancien Évêché jusqu'au dimanche 22 septembre


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