"I Remember Earth" : objectif Terre au Magasin des horizons

Toujours en prise avec l'actualité, le Magasin des horizons ouvre une magnifique exposition sur les rapports que l'Homme entretien à la Terre. Au programme : de l'écologie, du féminisme, des figures historiques de l'art de la performance et pas mal de jeunes artistes qui méritent le détour. 


Ce qui caractérise d'emblée l'exposition I Remember Earth est son immédiate générosité et sa dimension extrêmement séduisante. La scénographie, aussi sobre qu'ingénieuse, invite à une déambulation parmi les œuvres et permet au visiteur de se plonger avec plaisir dans les démarches, souvent conceptuelles, des artistes présentés. Ceci est d'autant plus favorisé par l'accrochage qui rassemble, en début de parcours, plusieurs œuvres de figures pionnières de la performance : Gina Pane, Judy Chicago ou Agnès Denes.

L'Italienne Gina Pane, que l'histoire de l'art a souvent cantonné à une pratique gentiment sentimentalo-geignarde (et soi-disant tellement plus appropriée pour une artiste femme !), présente ici des œuvres aussi minimales que poétiques dont la géniale performance de 1969 dans laquelle elle tente d'enfoncer un rayon de soleil dans la terre.

Judy Chicago est également mise à l'honneur avec une série de photographies et de vidéos de la série Atmosphères (1969-1974, photo). Violemment colorées, les images de ces actions à base de fumigènes et de corps nus ont suscité fascination et effroi dans une Amérique aussi puritaine qu'impérialiste alors empêtrée dans la guerre du Vietnam.

Quant à Agnès Denes, elle parvient à faire plusieurs projets inspirés par la force vitale et la puissance symbolique des arbres, sans pour autant sombrer dans une mystique baba-cool illuminé… chapeau !

Bulldozers VS main nue

Toutes témoignent d'une sensibilité à l'écologie et d'une véritable volonté de ne pas rompre avec l'environnement naturel mais, bien au contraire, de l'épouser et de s'y fondre. C'est effectivement ce à quoi s'essaie la Brésilienne Celeida Tostes dans une vidéo saisissante où, s'immergeant dans une sorte d'œuf en terre crue, elle retourne à l'état fœtal avant de renaître.

Créer les conditions d'un dialogue possible avec la nature est également au cœur du projet photographique de Barbara et Michael Leisgen dont les postures adoptées par les personnages mis en scène jouent malicieusement avec le paysage. Leur subtilité est à mille lieues des projets pharaoniques des superstars du land art de l'époque qui, à grand renfort de bulldozers (et de dollars), ont donné naissance, dans les déserts américains, à des œuvres mégalomaniaques aujourd'hui encore visibles depuis googlemap…

Et puisqu'on parle de modestie et de discrétion, ne manquez pas la magnifique photographie de la Polonaise Teresa Murak où, appuyée sur un tas de terre parfaitement demi-sphérique, elle contemple le négatif de celui-ci à ses pieds : un trou qu'elle a creusé de ses mains pendant trente jours. Une intervention qui confronte l'échelle humaine à celle de la Terre…

Logique frénético-capitaliste

L'une des caractéristiques de toutes ces pièces, qui invitent à repenser notre rapport à la Terre, est qu'elles nous engagent à envisager différemment notre rapport au temps. Dès le début de l'exposition, Edith Dekyndt présente ainsi des tissus dont la lente dégradation naturelle a nécessité plusieurs mois.

Carolina Cordeiro tresse patiemment des herbes folles, Célia Gondol redore une à une les feuilles d'une végétation luxuriante et, enfin, Brígida Baltar collecte minutieusement des particules de brume dans lesquelles elle semble s'évanouir : autant d'actes artistiques dérisoires, poétiques, parfois assez amusants, qui replacent le geste manuel au cœur du processus créatif et témoignent du désir de rompre avec la logique frénético-capitaliste dévastatrice dans laquelle nous sommes embarqués. Cette nécessité de renouer avec notre environnement et une temporalité à la mesure de notre corps s'opère souvent grâce à la réinvention de rituels dont certains sont programmés dans les mois à venir par le Magasin des horizons… À suivre donc !

I Remember Earth
Au Magasin des horizons jusqu'au dimanche 15 décembre


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