"Fever" : au bazar Balthazar

C'est dans les marges des projets solo de ses deux coleaders que Balthazar a mûri "Fever", un nouveau grand disque de spleen, en proie à une réforme qui voudrait voir ces Belges tutoyer les dancefloors avec le détachement aristocratique qu'on leur connaît.


Puisqu'on a souvent érigé Balthazar en fils spirituels de Leonard Cohen, alors le virage musical opéré par le groupe belge avec Fever pourrait se rapprocher tout à la fois de l'embardée philspectorienne du Beautiful Loser sur Death of a Ladies' Man, des avances de gentleman cambrioleur de cœurs et crocheteur de vertus d'I'm Your Man ou des roucoulades sur un monde en ruines de The Future. Pas dans l'empaquetage sonore, oh ça non : rien ici de comparable à l'effet du Wall of Sound sur la musique du Canadien ou au devenir synthétique de ses complaintes jadis folk. Mais bien davantage dans l'intention de s'émanciper de l'aura brumeuse du troubadour traîne-misère.

Une tentative de ne pas rentrer à la maison avec le drapeau hissé haut dans le suspensoir, comme le conseille un des titres de Death of a Ladies' Man, justement (Don't go home with your hard-on, pour ne pas le nommer), mais bien au contraire d'en faire profiter l'assistance, de monter le thermostat au maximum, de mettre un peu de fièvre dans cette léthargie initiale.

Bateau ivre

Cette virée hors-piste pour mieux revenir à celle qui accueille la danse a sûrement beaucoup à voir avec les échappées solo et esthétiques des deux leaders de Balthazar, Maarten Devoldere (Warhaus) et Jinte Deprez (J. Bernardt). Lesquelles semblent avoir quelque peu libéré les (états d')âmes et les corps (en souffrance). Bien sûr, il subsiste toujours ici cette moiteur ambiante (sinon, à quoi bon la fièvre ?) ; cette atmosphère cotonneuse qui imite si bien le je-m'en-foutisme du dandy revenu de tout ; ce décor de bateau ivre entretenu par le roulis d'une basse (éternelle colonne vertébrale de la musique balthazarienne) subtilement funk qui donne à la fois le ton de la fête et la prescience de la gueule de bois attenante.

Une ivresse qui va chercher tant du côté des aînés défragmentés de dEUS, compatriotes érigés en Statue du Commandeur, que des génuflexions What The Funk de Talking Heads fantasmés en égéries Motown. Impression de bazar donc – comme on dit impression de beau temps –, chez ces Balthazar, as du coiffé décoiffé, qui devraient pousser le public à onduler comme un seul humain. Vacillant comme on danse. Et inversement.

Balthazar + H-Burns
À la Belle électrique jeudi 14 novembre à 20h


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