Seules Les Bêtes

De Dominik Moll (Fr.-All., 1h57) avec Denis Ménochet, Laure Calamy, Valeria Bruni Tedeschi…


Une petite communauté montagnarde gelée par l'hiver. La disparition d'une femme provoque des réactions contrastées : indifférence du rude Michel, suspicion de son épouse Alice qui pense que son amant, le solitaire Joseph, n'est pas étranger à l'affaire. Elle n'a pas forcément tort…

Retour gagnant pour l'efficace Dominik Moll, toujours à l'aise dans les ambiances psychologiquement glaçantes : le polar de Colin Niel semblait écrit pour qu'il s'empare de ses personnages tourmentés, emmitouflés sous plusieurs couches de peaux et de vêtements, et qu'il compose autour de chacun d'entre eux un chapitre (autant dire un fragment) de l'histoire globale, en variant les points de vue. Comme dans Rashōmon de Kurosawa, chaque protagoniste fabrique sa vérité à partir de faits objectifs, de conjectures et de sa propre part de ténèbres. Une situation donnée pour suspecte dans une séquence se révèlera ainsi totalement anodine dans l'autre… mais l'inverse se vérifiera encore plus souvent.

Portrait d'une région rurale d'altitude standard (en proie à ses difficultés économiques ordinaires, à la saisonnalité touristique, à l'irruption des urbains aisés s'installant dans les fermes abandonnées…), Seules les bêtes parvient également, par un de ces stupéfiants raccourcis auxquels la modernité nous habitue, à raconter l'étrécissement de la planète et l'exploitation désormais mondialisée du sentiment de déréliction dont Damien Bonnard, Laure Calamy, Denis Ménochet et Valeria Bruni Tedeschi souffrent tous à leur manière.

Une légère réserve pèse sur la dernière partie du film : révélant la clef de l'énigme et donnant au récit sa dimension pleine et entière, elle s'avère un tantinet déséquilibrée. Une fois le mystère éclairci, il aurait en effet peut-être été possible de faire l'économie de développements cousus de fil blanc qui voient l'action s'étirer inutilement. Le dénouement offre, heureusement, son lot d'inattendu.


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