La Vie invisible d'Euridice Gusmao

De Karim Aïnouz (Br.-All., 2h19) avec Carol Duarte, Julia Stockler, Gregório Duvivier…


Rio de Janeiro, 1950. Les sœurs Gusmao ne se quittent jamais. Jusqu'au jour où Euridice part avec un marin de fortune mais revient au bercail où son père la répudie en lui interdisant de revoir sa sœur Guida qui rêve de devenir concertiste. Des années durant, elles se frôleront sans se voir…

Il semble appartenir à un passé révolu et subit l'infamante qualification de sous-genre… Pourtant, le mélo n'a rien perdu de sa vigueur ; au contraire, il bénéficie d'un regain d'intérêt de la part des cinéastes, trouvant sans doute dans l'inéluctable fatalité de son dénouement une pureté proche de la tragédie antique, et une manière de résistance à l'insupportable mièvrerie du happy end.  Au reste, n'est-il pas plus aisé d'obtenir l'empathie du public en sacrifiant ses personnages ?

Karim Aïnouz ne se prive pas de le faire dans cet habile tire-larmes qui joue avec les nerfs en multipliant les occasions manquées de retrouvailles entre Euridice et Guida, entre frôlements fortuits et croisements entravés. Balayant 70 ans de vie brésilienne, il opère un sacré raccourci dans le récit de la condition féminine de ce pays qui, aujourd'hui, semble oublier l'un des deux termes de sa devise Ordre et Progrès (indice, ce n'est pas l'Ordre). La régression sociétale actuelle renvoie directement au contexte du début du film, c'est-à-dire au patriarcat bas du front inféodé à la morale, soumis à la peur de l'opinion publique et de l'Église. Un monde où deux filles aspirant à la liberté dans l'amour et dans la musique n'ont pas leur place.

La superbe double interprétation des sœurs aux vies parallèles et épistolaires, par Carol Duarte et Julia Stockler, est pour beaucoup dans la mélancolie ambiante de ce film que l'image d'Hélène Louvart, jamais trop posée ni trop composée pour faire reconstitution, embrume d'un léger flou. La caméra pleure avant vous.


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