Möbius : l'art de l'envol

Pour créer, Rachid Ouramdane aime partir à la rencontre de l'autre, qu'il soit artiste ou non. Le co-directeur du Centre chorégraphique national de Grenoble a récemment choisi de travailler avec la Compagnie XY, une troupe d'acrobates. Impressionnant, le résultat est à découvrir jusqu'à vendredi 24 janvier, sur la scène de la MC2.


À quoi tient la magie d'un instant ? Comment expliquer qu'une heure durant, ce qui se passe sur une scène parvienne à nous faire oublier les soucis de notre quotidien et nous emmener ailleurs ? Quel phénomène étrange se joue lorsqu'un bon millier de personnes, adultes, adolescents, enfants, vibrent soudain à l'unisson, sensibles à une émotion partagée ? Il n'est pas indispensable de trouver une réponse à toutes ces questions pour profiter de Möbius. Il peut toutefois être difficile de résister à l'envie d'acclamer une performance artistique remarquable… et c'est pourtant ce qui nous a été demandé un soir de la semaine dernière, à Annecy, en prélude à une représentation du nouveau spectacle chorégraphié par Rachid Ouramdane.

Talent et force poétique

Passée la surprise, on comprend évidemment que cette œuvre – désormais programmée à la MC2, depuis mardi et jusqu'à vendredi – est si technique (et potentiellement dangereuse) qu'il faut absolument éviter de troubler l'intense concentration des exécutants. Pas question de s'appesantir sur le sujet : toute considération matérielle s'efface devant le talent et la force poétique d'une création originale, littéralement portée par une troupe d'acrobates. Ils étaient 18 quand nous avons découvert la pièce, quelques jours avant son arrivée à Grenoble. Peut-être seront-ils 19 dans la capitale des Alpes, si le membre manquant de la troupe est remis d'une blessure subie en répétition. Une chose est déjà avérée : le plaisir que procure l'observation de la Compagnie XY dépasse largement toute considération bassement mathématique. Il faut le voir pour le croire ! C'est difficile alors de ne pas être émerveillé, au risque de trahir la consigne d'absolu silence réclamée quelques secondes avant le lever de rideau. Pour se faire une petite idée de la chose, on peut se figurer une troupe presque constamment en mouvement : les circassiens de cette bande sont rarement seuls sur scène et ils bougent pour ainsi dire en permanence. Leur volonté : créer un continuum. Il n'est dès lors plus question d'un numéro qui débute, déroule son fil narratif au son d'une musique et s'achève quand la lumière s'éteint, avant de laisser sa place à un autre. Möbius est un rêve éveillé qui s'arrête uniquement quand tout est dit, une fois le spectacle lui-même terminé. Avant cela, il déploie une énergie folle et nous invite à élever nos regards. Impressionnants au sol, aussi agiles que des chats, les artistes le sont encore davantage quand ils jouent les filles et fils de l'air. Soudain, la gravité n'existe plus et on se sent léger, léger, léger…

Une exaltation du groupe

Ces mouvements à nuls autres pareils puisent leur inspiration première dans l'étude de phénomènes naturels. Aux esprits cartésiens que cela intéresse, la Compagnie XY et Rachid Ouramdane expliquent relier leur propos aux « murmurations », selon le terme scientifique utilisé pour parler par exemple des vols en masse d'étourneaux. On retrouve des mécanismes similaires chez les abeilles ou les poissons vivant en bancs. Soudain, de manière inexpliquée, chaque membre du groupe agit de façon simultanée et coordonnée. Un peu comme si la multitude s'effaçait tout à coup et qu'apparaissait un individu unique pour prendre sa place. Impossible alors de saisir une dynamique individuelle. La beauté naît de la simple contemplation d'instants éphémères qui, mis bout à bout, forment progressivement un tout homogène et d'une sensibilité volontiers communicative. Cette démarche artistique raconte également quelque chose de notre rapport à autrui. Sur scène, peu de temps de solitude : il ne se passe jamais une minute entière sans qu'un artiste assis ou allongé ne se meuve à nouveau, souvent relevé par un autre. Si la base d'une pyramide bascule, ses fondations sont là pour éviter la catastrophe. Qu'importe ce qui a pu les faire tomber : ensemble, hommes et femmes finissent toujours par se redresser. Et quand tout s'achève, on peut enfin applaudir à tout rompre…

Möbius
Á la MC2 jusqu'au vendredi 24 janvier


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