Jojo Rabbit

Un garçonnet, dont le confident imaginaire est Hitler, se retrouve à sauver des nazis une orpheline juive. Taika Waititi s'essaie au burlesque dans une fable maladroite ne sachant jamais quel trait forcer. Une déception à la hauteur du potentiel du sujet.


Allemagne, années 1940. Tête de turc de sa section des Jeunesses hitlériennes, le malingre et craintif Jojo trouve du réconfort auprès d'un ami imaginaire, Adolf en personne. Tout s'embrouille lorsqu'il découvre une adolescente juive cachée dans les murs de sa maison…

L'accueil enthousiaste rencontré par Jojo à Toronto, doublé d'un Prix du Public, en a fait l'un des favoris dans la course à l'Oscar. Sur le papier, le postulat du film a de quoi susciter la curiosité tant il semble cumuler les transgressions volontaires. Résumons : Jojo conte tout de même la fin de la Seconde Guerre mondiale côté allemand du point de vue d'un jeune féal du Führer, en adoptant un registre absurdo-burlesque avec des stars populaires, le tout sous la direction de Taika "Ragnarok" Waititi qui s'adjuge de surcroît le rôle d'Hitler. Ça fait beaucoup, mais pourquoi pas si une cohérence supérieure gouverne les choses ? Ce n'est malheureusement pas le cas.

Hitler ? Connais pas…

Waititi ne sachant pas quel ton maintenir, son film apparaît violemment hétérogène. Taillant sur mesure ses séquences aux profils de ses comédiens (Scarlett Johansson en femme forte sacrifiée, Sam Rockwell en demeuré au fond pas si méchant, Rebel Wilson en brutasse), il tente la farce anachronique, le conte moral poétique, la potacherie trash à la Farrelly, le screwball de Tex Avery, dans un zapping assommant… mais son humour, trop peu corrosif, tombe trop souvent à plat. On objectera que Waititi cherchait sans doute à "déréaliser" son tableau, à induire un décalage en cassant le rythme… Précaution inutile : le fait que tous les protagonistes parlent anglais avec un vague accent allemand (on en est encore là…) ou le Komm gib mir deine Hand des Beatles en ouverture (bien trouvé, pour le coup) suffisent à créer de la distance avec le sujet et donner des airs de réalité parallèle à cette fiction.

S'il est permis de manquer une comédie, se rater sur cette période s'avère problématique. On ne fera pas grief à Waititi de n'être ni Chaplin, ni Lubitsch, ni Jerry Lewis, ni Mel Brooks, ni Gérard Oury, mais ses devanciers tournaient à tout le moins Hitler en ridicule  dans leurs films – quant à Tarantino, il n'avait pas hésité à le cramer. Ici, Adolf devient un sympathique faire-valoir, dépourvu d'ambiguïté. À notre époque où l'inculture historique prend des proportions effroyables, où le second degré n'est plus compris, l'hypothèse n'est pas à exclure que certains apprécient la banalisation du personnage, voire trouvent ici une nostalgie bon enfant IIIe Reich. De quoi glacer les sangs.

Jojo Rabbit de Taika Waititi (É.-U., 1h42) avec Roman Griffin Davis, Thomasin McKenzie, Scarlett Johansson…


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