Faim de saison

Alors que la vie culturelle reprend doucement son cours avec des règles sanitaires contraignantes, la plupart des salles de spectacle françaises restent encore fermées, espérant que tout reviendra à la normale pour la rentrée de septembre et le début de la saison 2020/2021. On a interrogé plusieurs responsables de théâtre de l'agglomération, histoire d'en savoir plus sur cette situation encore bien trop floue.


Il y a eu le confinement soudain, qui a arrêté dans la foulée l'activité des salles de spectacle, les obligeant à fermer leurs portes et, de facto, à annuler au fur et à mesure les représentations prévues aux mois de mars, avril et mai – une trentaine pour quelque 25 000 billets rien qu'à la MC2, le plus grand équipement culturel grenoblois. Et il y a maintenant la relance de l'activité, permise depuis le lancement le 2 juin de la phase 2 du déconfinement, en suivant « les règles de distanciation physique avec une organisation spécifique des places assises et une gestion des flux conforme au protocole sanitaire », comme l'a demandé le Premier ministre Édouard Philippe lors d'une conférence de presse fin mai. Sauf que pour beaucoup de théâtres de l'agglomération comme de France, la reprise ne pourra pas être si rapide.

Au Théâtre municipal de Grenoble, la directrice Delphine Gouard n'imagine pas rouvrir ses trois salles (celle du centre-ville, mais aussi le Théâtre 145 et le Théâtre de poche) au public avant septembre. « Comme beaucoup de lieux, on avait annulé toute la programmation de la fin de saison du fait du confinement. Avec les annonces d'Édouard Philippe et cette possibilité de rouvrir, on s'est posé la question pour En Outrenoir, le dernier spectacle de la saison qui était programmé les 12 et 13 juin. Mais après en avoir parlé avec les équipes du théâtre et le chorégraphe François Veyrunes, on s'est rendu compte qu'on n'était pas en capacité de redémarrer si vite. Même si on a tout de même travaillé à un protocole de reprise des résidences d'artistes. »

« Tout peut très vite changer »

Les directeurs et directrices de salle que nous avons interrogés sont ainsi déjà tournés vers la rentrée, période faste de la vie culturelle qui était déjà dans toutes les têtes lorsque le confinement est survenu mi-mars comme le confirme Jean-Paul Angot, directeur de la MC2 : « 80-90% de la saison étaient calés en mars. Je n'ai donc pas modifié la programmation du fait de la crise – j'ai seulement reprogrammé quelques spectacles annulés quand j'ai pu. La prochaine saison sera bien celle qu'une maison comme la MC2 propose chaque année, ni plus ni moins et surtout pas différente. Après, bien sûr, si certaines barrières sanitaires sont encore imposées à la rentrée, on les respectera. Mais on ne les anticipe pas maintenant. Les choses comme un fauteuil sur deux, ce sont des préoccupations actuelles. Tout peut très vite changer. »

À l'Ilyade de Seyssinet-Pariset, on est sur la même logique, comme l'explique Marie-Claire Gaillardin, responsable de la communication et des relations avec les publics : « On a essayé de rester sur un calendrier normal. Pendant le confinement, on ne s'est pas précipité sur de l'annulation en septembre, on procédait de 15 jours en 15 jours en ayant pour objectif de sortir une plaquette dans les temps avec le calendrier qui était prévu. Après, on verra bien à la rentrée si on devra bouger ou non. » À l'image de l'Ilyade, certaines salles de l'agglomération ont tout mis en œuvre pour, comme chaque année, sortir leur plaquette de saison en juin (citons par exemple le Grand Angle de Voiron ou encore la Rampe d'Échirolles) et ainsi ouvrir la billetterie dans la foulée (nous évoquerons tout cela dans un prochain Petit Bulletin), quand d'autres, comme la MC2, ont dû décaler les annonces – leur programmation sera mise en ligne le 24 juin (avec sans doute la possibilité de réservation début juillet), mais les plaquettes seront distribuées fin août.

« La perte de lien est notre plus grande inquiétude »

Mais derrière ces questions techniques, il y a également des interrogations sur comment se déroulera cette rentrée, que ce soit dans le rapport avec les artistes (« si on suit les préconisations sanitaires, il faudrait que les comédiens mettent des masques sur scène : ce serait fou ! » pour Delphine Gouard) et, surtout, avec les spectateurs, dont le retour en nombre dans les salles n'est pas forcément assuré.

Anne Courel, la directrice de la scène jeune public grenobloise l'Espace 600, espère donc, comme ses collègues des autres salles de l'agglomération, que les retrouvailles se feront dans de bonnes conditions et avec un public nombreux. « Il va vraiment falloir se retrousser les manches et sortir les rames, car avec la fermeture d'un théâtre comme le nôtre dans un quartier comme celui de la Villeneuve, la perte de lien est notre plus grande inquiétude. Notamment avec le public adolescent, qui n'est pas le plus facile à faire venir au théâtre. Avant le confinement, on avait même des ados qui faisaient leurs devoirs au théâtre, c'était vraiment génial. J'espère qu'ils reviendront et garderont ce rapport avec nous. » Réponse, à l'Espace 600 comme ailleurs, dès que les saisons seront annoncées, les billetteries ouvertes, les salles de spectacle réinvesties… Tout bientôt normalement, non ?


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