Troisième Bureau entretient la flamme

Le comité de lecture du collectif artistique grenoblois a publié, fin février, la liste des textes qu'il a retenus pour cette année. L'occasion pour nous de solliciter Bernard Garnier, coordinateur artistique, afin de faire un point complet sur son fonctionnement et son actualité, en attendant les prochaines représentations publiques.


Quelle présentation feriez-vous de Troisième Bureau ?
Bernard Garnier
 : Le collectif a été créé il y a une vingtaine d'années, autour principalement de professionnels du théâtre (comédiens, metteurs en scène, auteurs, scénographes… entre autres). Au départ, il y a un constat : les écritures théâtrales contemporaines restent peu représentées sur les scènes des théâtres subventionnés. Nous aimons jouer les classiques, mais disons que le théâtre contemporain a une manière d'interroger le monde autrement, avec une langue d'aujourd'hui. C'est son intérêt et sa force.

Comment travaillez-vous ?
Très modestement, notre idée est de mener un travail de groupe en parallèle des projets personnels de chacun, afin de pouvoir faire découvrir ces œuvres au milieu professionnel et de les partager avec le public. Avec Troisième Bureau, nous avons commencé à lire ensemble des pièces contemporaines et à nous réunir pour en discuter. Nous avons ensuite mis en place un certain nombre d'actions, la plus emblématique étant sans doute le festival Regards croisés, qui invite chaque année des auteurs et autrices pour des lectures, rencontres, ateliers, etc. 23 personnes composent aujourd'hui notre comité de lecture. C'est beaucoup ! Tout au long de l'année, on travaille avec des lycées, principalement, ainsi qu'avec l'Université et le Conservatoire. Nous sommes en partenariat avec des manifestations comme le Printemps du livre.

Normalement, en avril, vous organisez les Envolées. Trois pièces étaient annoncées cette année...
Effectivement, du 25 avril au 2 mai, nous devions avoir neuf représentations, mais, craignant que les théâtres ne soient pas rouverts, nous avons préféré anticiper : nous organiserons donc une journée professionnelle le 27 avril, pour présenter les trois spectacles. Un parcours qui commencera au Pot au noir le matin, avant l'Autre Rive et enfin le Théâtre Sainte-Marie d'en bas. Une reprise du programme est prévue au Théâtre de Poche en septembre / octobre, après quoi les trois spectacles seront joués dans un théâtre de la métropole lyonnaise. Nous avons sauvé sept représentations sur dix. Tout reporter n'était plus possible et n'aurait plus eu beaucoup de sens, de toute façon.

Qu'en est-il des lectures proposées lors du festival Regards croisés, habituellement programmé au mois de mai ?
Nous sommes en pleine réflexion. Théoriquement, le Festival est prévu du 5 au 10 mai. Là encore, rien ne dit que les théâtres auront rouvert. S'ils sont fermés, qu'est-ce qu'on fait ? On ne veut pas annuler ! Dès lors, on envisage de se tourner vers deux types de publics et, à nouveau, d'accueillir des professionnels pour des lectures l'après-midi. En complément, nous essayons d'obtenir l'autorisation d'accueillir une classe à chaque fois. Nous réaliserions aussi des captations, qui seraient mises en ligne le soir. Et nous réfléchissons à de petits rendez-vous en présentiel, pour permettre à cinq ou six personnes d'écouter un texte enregistré. Histoire qu'il y ait un peu de collectif et de relationnel, aussi…

Quid de la pièce Gens du pays, une création défendue par Troisième Bureau et dont les premières représentations devaient avoir lieu au début de cette année ?
C'est une œuvre d'un auteur québécois vivant en France, Marc-Antoine Cyr, un compagnon de route que nous avons déjà invité à plusieurs reprises. En 2017-2018, nous avons pu disposer d'un budget qui nous permette de lancer une production. On a également trouvé des coproducteurs avec les Scènes du Jura, le Grand Angle de Voiron et l'UGA, notamment, ainsi que d'autres partenaires dans l'agglomération grenobloise : l'Espace 600, le TMG, et l'Odyssée / Autre Rive, à Eybens. Cette année, nous avons dû revoir nos ambitions pour les représentations, mais malgré tout, l'Espace 600 a maintenu les siennes en faisant venir des collégiens.

Ensuite, certains comédiens étant testés positifs à la Covid, tout a dû être reporté à janvier 2022. On verra si la création est une piste que l'on continue de développer ou si c'est un champ d'action trop lourd pour nous. Il faut dire que, depuis deux ans, on s'est associé avec d'autres comités de lecture pour créer une revue, La Récolte. Depuis cinq ans, on passe également des commandes pour éditer des textes courts, qui sont ensuite lus par des lycéens lors du festival, en lever de rideau. On aimerait aussi reprendre les résidences d'auteurs, comme on a pu le faire entre 2015 et 2018 !

Malgré la crise sanitaire, ressentez-vous toujours, chez les artistes que vous regroupez et accompagnez, cette envie de faire et de partager ?
Une partie des comédiens, metteurs en scène et techniciens disposent d'une protection sociale liée à l'intermittence. Il y a de grandes discussions pour essayer d'en obtenir le prolongement. Ce qui est compliqué, c'est qu'il n'y a pas de visibilité, que des spectacles ont été annulés et que certains se retrouvent aujourd'hui sans travail. Du point de vue structurel, on fait, on défait, on refait en essayant de retricoter les choses, etc. Bref, on ne manque pas d'activité ! Pour les comédiens, la difficulté vient de l'isolement, du manque de perspectives et de l'inquiétude sur ce qui va se passer après. Faire des résidences et des représentations professionnelles, c'est bien. Mais à un moment donné, la question se pose : qu'est-ce qu'on fait de tous ces spectacles ?

Vous vous montrez combattifs, en tout cas…
Oui. Sinon, autant tout arrêter ! La pandémie nous interroge sur ce que l'on fait pour continuer et pour penser les choses autrement. Les expériences différentes que nous menons pourront nous donner des idées pour le futur, lorsque nous retrouverons le public. L'an dernier, après avoir annulé l'édition de Regards Croisés, nous avons déjà mis en place ce que nous appelons des "cahiers de textes". Faute de programme papier, nous en avons réalisé un pour chaque texte qui devait être présenté au festival, avec un résumé, une contribution de l'auteur sur sa motivation à écrire, une bio et une bibliographie. Je suppose que nous continuerons d'année en année. Petit à petit, nous constituerons ainsi des sortes de petits répertoires d'information.


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