Il est temps de penser

Du 8 au 10 octobre se tiendront les Rencontres philosophiques d'Uriage, sur le thème du temps. Parmi les invités, Judith Revel, spécialiste de Michel Foucault, apportera son "Regard philosophique sur l'année écoulée". Autrement dit, un éclairage sur la crise sanitaire que nous avons traversée/traversons.


Aux Rencontres philosophiques d'Uriage, Judith Revel disposera de 45 minutes pour dérouler les questions qu'une philosophe spécialiste de Foucault se pose lorsqu'une crise sanitaire bouleverse le monde.

Temps suspendu

Premier sujet, le temps, qui est justement la thématique de l'événement. « Les crises provoquent des effets très étonnants dans le rapport au temps. Il y a un moment de suspension, nous sommes projetés tous ensemble dans une forme de centralité du présent. » Les images des villes vides et silencieuses illustrent parfaitement ce flottement, entre un passé lointain et un futur livré à un imaginaire catastrophiste. « La vraie question philosophique est : qu'est-ce qu'une transformation de l'histoire ? » interroge Judith Revel. « On imagine souvent un événement frontal, un choc à une date donnée. Or, toute transformation a une épaisseur. »


Ainsi, la crise Covid ne débuterait pas au fameux patient zéro, mais à un processus long, de l'urbanisation galopante des villes chinoises, au contact entre des animaux qui n'ont pas à l'être naturellement. « C'est ce qu'explique l'anthropologue Frédéric Keck », pour ceux qui souhaiteraient aller plus loin sur ce thème. Par ailleurs, dans une transformation de l'histoire, « il y a l'idée d'une fracture totale, mais il y a aussi une permanence. Foucault l'a pensé dans Les Mots et les Choses -il a d'ailleurs eu du mal à le penser. » Monde d'avant et monde d'après, une vision binaire qui ne tient pas : nous allons vers des systèmes hybrides.

Second sujet inévitable, la politique de la santé, étudiée de près par Foucault. « Il ne s'agit pas de dire "c'est bien, c'est mal", mais de comprendre », prévient Judith Revel. « La santé est un enjeu énorme en politique, y compris économique. » Limiter la circulation de maladies permet de maintenir des salariés en bonne santé donc au travail, ou encore de contenir le déficit de la sécurité sociale. « On a vu que moins le politique est dans la transparence, plus il nourrit les discours populistes et complotistes. Certains pays ne sont pas habitués à la transparence, et ont paradoxalement bien géré cet écueil en admettant leurs tâtonnements. » Avouer une ignorance voire une erreur de jugement, difficile pour un décideur. Pourtant, « dire qu'on ne sait pas, c'est essentiel en politique, au risque de nourrir la défiance des gens. La défiance engendre le pire. »


La santé, c'est privé ?

En mai dernier, le président Joe Biden se positionnait pour la levée des brevets sur les vaccins contre le Covid. Discours « très intéressant pour une oreille philosophique, qui pose la question des biens. La santé fait-elle partie du commun inaliénable, au même titre que l'eau, l'air ? » La réponse, en tout cas la réponse politique actuelle, c'est donc non. Les vaccins sont propriété des laboratoires qui les fabriquent. Mais Judith Revel voit l'entrouverture d'une porte : pour mettre au point ces vaccins aussi rapidement, les laboratoires de différents pays ont collaboré et travaillé ensemble. C'est inédit. « On pourrait tout à fait imaginer un financement et une recherche au niveau mondial pour la lutte contre le dérèglement climatique, qui concerne tout le monde. »


Dernier sujet, celui du sujet, justement. Ou « le double registre avec lequel on parlait de soi pendant la crise. Foucault a écrit sur la politique de l'individu et la politique des populations. L'objectivation du sujet au sein d'un groupe défini par un trait naturel : "population vulnérable", "jeunes"... Il appelait ça "pathologiser les relations sociales" », sourit Judith Revel. A ces classements par groupes s'oppose « le discours de l'individu qui voit sa liberté individuelle réduite. » Equation on ne peut plus d'actualité.


La philosophie est précieuse pour se distancier de ses idées afin de mieux les expliquer, les critiquer, voire s'en émanciper. « C'est un type de questionnement ; on peut faire de la philosophie sur tout ».  L'espace manque pour développer plus avant dans ces pages, on vous donne donc rendez-vous à Uriage.

Prisonniers du temps ? Rencontres philosophiques d'Uriage, du 8 au 10 octobre, programme complet sur www.rencontres-philosophiques-uriage.fr


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