Bouches à oreilles

C'est la clef, dit-on, du succès d'un film. Bien plus que les critiques. Mais le bouche-à-oreille peut aussi évoquer des histoires de bouches… et d'oreilles…


Voix et parole vont souvent de pair, en particulier dans le vocable politique. En pleine précampagne électorale, Jean-Christophe Meurisse des Chiens de Navarre sort avec Oranges sanguines (17/11) un bijou corrosif évoquant (notamment) la figure du politique et son usage de la langue de bois à travers un ministre gérant en coulisses l'étouffement d'un scandale médiatique. Volontairement “impur” dans sa forme — une construction de saynètes rend le fil de sa narration discontinu, mais l'effet mosaïque en résultant sert admirablement le propos — ce film choral restitue l'impureté de la chose publique, les arrangements boiteux, les masques sociaux et l'hypocrisie ambiante dont, pourtant, personne n'est dupe. Dialogue, distribution, jeu sont impeccables, et si l'on rit devant ces polaroïds du cynisme contemporain érigé en norme, c'est jaune : qui est le plus monstrueux ? Chacun fabrique le monstre de son prochain. Tragiquement drôle !

Oh, ouïe, encore !

À la même date, mais plus près des tympans, une rom'-com' charmante, cocasse et touchante de & avec Pascal Elbé, On est fait pour s'entendre (17/11) dans lequel il incarne un prof se découvrant dur de la feuille. L'isolement relatif des malentendants y est judicieusement traité et le rythme, trépidant, grâce à une excellente partenaire : Sandrine Kiberlain. Un constat : Elbé est scandaleusement sous-employé par le cinéma français.

Restons dans ce périmètre auditif pour Les Magnétiques (17/11) de Vincent Maël Cardona, qui constitue l'une des plus brillantes surprises du mois : emplie de nostalgie, cette épopée à la première personne de la libération des ondes FM en 1981 raconte aussi la France rurale d'alors, le service militaire à Berlin, l'âge des possibles et le début des années fric "vues" à hauteur d'oreilles via le parcours initiatique d'un jeune prodige des consoles. Très prometteur. Plus anecdotique se révèle Haut et Fort (17/11) de Nabil Ayouch, petite chose sympathique mais déjà vue mille fois autour d'une activité rap dans une MJC — OK c'est au Maroc, c'est une semi comédie musicale documentarisante… L'avoir mis en compétition à Cannes ne compense pas l'oubli de Much Loved en 2015.

Avec Encanto, la fantastique famille Madrigal (24/11) de Charise Castro Smith, Byron Howard & Jared Bush, on passe au Disney de Noël. Et une tendance déjà notée dans La Reine des Neige 2 se confirme : les chansons s'allègent en sucre. Dans ce conte magico-mexicain éclatant de couleurs stupéfiantes, les solos de deux sœurs s'avèrent spectaculaires tant dans la forme que le fond. Voilà qui rajeunit un genre englué dans ses conventions ; reste à polir la fin de l'histoire, un peu bâclée.

Quant à De son vivant (24/11) de Emmanuelle Bercot, narrant le parcours en soins palliatifs d'un prof de théâtre joué par Benoît Magimel et de ses rapports avec sa mère. Eh bien disons seulement qu'on préfère quand Emmanuelle Bercot filme les vivants comme dans La Tête haute et se tient à distance des hôpitaux. À bon entendeur…


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"L'Événement" : La peur au ventre