"Un monde" de Laura Wandel : la cour des mille raclées

Portant sur la mécanique pernicieuse du harcèlement scolaire et interprété par deux enfants déchirants de vérité, ce premier film miraculeux est une merveille de délicatesse autant qu'un tour de force de réalisation. Un choc absolu et sans nul doute une future référence sur le sujet.


C'est la rentrée à la "grande école" pour Nora qui redoute d'être séparée de son aîné Abel, lequel a d'autres chats à fouetter dans la cour de récréation. Parce qu'il va s'opposer à ce que sa cadette soit bizutée, Abel devient le nouveau bouc émissaire des terreurs de la primaire. Témoin de ces sévices, Nora va désespérément tenter d'alerter les adultes. En vain, jusqu'à ce qu'un fait grave n'oblige l'institution scolaire à réagir…

Il est actuellement une vague naissante, ou une vogue pour des films brefs s'attachant sans fioriture ni digression à leur sujet ainsi qu'au monde réel... Comme une douce alternative à la domination écrasante des blockbusters, rouleaux compresseurs flirtant avec les 3h de bastons filmées sur fond vert, avec des acteurs partiellement virtuels et des enjeux de plus en plus hermétiques aux béotiens — dans la mesure où ils s'inscrivent dans des "univers" addictifs fonctionnant en vase clos, reproduisant l'efficacité gravitationnelle des trous noirs qui ne relâchent jamais la matière (spectatorielle) qu'ils ont capturée. Ces "films d'à-côté" ont compris la nécessité d'aller à l'essentiel, donc, sans faire roman ni sacrifier l'esthétique, ni l'émotion ; ce que Laura Wandel accomplit dans ce premier long métrage et qui tient du prodige. Qu'il se passe de choses dans les 75 minutes d'Un monde ; de traumatismes et de résiliences, de rebondissements et de beautés tristes !

Voir l'invisible

Même s'il paraît évident, eu égard au sujet, son choix de réalisation épouse le regard, la hauteur ainsi que les affects de Nora ; visant à être au plus près d'elle pour faire partager au spectateur sa térébrante détresse. Pas besoin ici de 3D immersive pour partager la souffrance ressentie par une gamine d'à peine 7 ans devant le spectacle de violences à répétition, d'agressions (physiques et psychologiques) commises à son encontre et sur son frère chéri ; pas besoin non plus de pathos au crin-crin pour avoir l'estomac vrillé par son impuissance à être entendue par les adultes responsables. L'alchimie singulière entre des plans-séquences hallucinants de maîtrise — glaçant autant par les faits de maltraitance représentés que par les signaux faibles et forts ignorés par certains adultes — et l'interprétation de la très jeune Maya Vanderbeque produit un effet dépassant l'écriture. Ajoutons cet étrange hiatus qui pousse à rejeter les malheurs survenant aux personnages, à vouloir les abstraire de ce cadre infernal… en étant paradoxalement fasciné par la beauté de l'image, sa composition précise, ses contrastes admirables. Il convient de saluer le travail exemplaire du directeur de la photographie, Frédéric Noirhomme.

À l'heure où Un monde a été retenu dans la liste restreinte des œuvres susceptibles de concourir (sous la bannière belge) pour l'Oscar du film en langue étrangère, on se prend à souhaiter ardemment que Laura Wandel aille au bout de cette pseudo-compétition. Pas tant pour la statuette dorée qu'elle délivre, mais pour l'onction magique l'accompagnant. L'aura accordée à l'œuvre susciterait déjà de la curiosité pour son contenu (et contribuerait à désinvisibiliser un sujet) ; elle bénéficierait par ricochet à une jeune autrice dont on a vraiment très envie d'assister à l'épanouissement de la carrière.

★★★★★ Un monde de Laura Wandel (Bel., 1h15) avec Maya Vanderbeque,  Günter Duret,  Karim Leklou… En salle le 26 janvier.


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