Le Mois décolonial de retour : « On n'est pas là pour prêcher une vérité »

Le Mois décolonial revient pour une seconde édition. Il avait fait hurler une large frange politique l'an dernier, en pleine bataille électorale des régionales. Sans motif valable selon les organisateurs, qui y voient un déni du racisme en France. Cette fois-ci, l'événement, qui convie notamment Assa Traoré et Taha Bouhafs, tombe tout pile dans la dernière ligne droite de l'élection présidentielle.


Ce qui hérisse les antis de tous bords ? L'usage du terme "décolonial", qui suggère que les dominations des colons sur les colonisés subsistent, tant au niveau des nations que des individus. C'est le postulat de départ des organisateurs, qui cette année sont une vingtaine d'associations, contre quatre pour la première édition du Mois décolonial, en 2021. Le représentant de l'une d'elles, Mix'art, Fabien Givernaud, tranche : « Le racisme est très présent en France, et pour nous, ce racisme vient de la colonisation et de l'esclavage. » À partir de là, une série de tables rondes, conférences, débats et événements festifs thématiques sont organisées pour « déconstruire l'imaginaire colonial », le mot d'ordre du festival. Avec des personnalités clivantes, comme Taha Bouhafs ou Assa Traoré, et d'autres beaucoup moins : le conseiller départemental Pierre-Didier Tchétché-Apea, le journaliste et écrivain Philippe Baqué, les universitaires Malcom Ferdinand, Linda Boukhris, Mélissa Manglou ou encore l'artiste Nadège de Vaulx. « L'idée est de créer un socle commun autour d'idées, pour bâtir une réflexion. Nous-mêmes, l'an dernier, il est arrivé qu'on soit en désaccord avec certains intervenants ». D'ailleurs, il précise qu'il ne parle qu'en son nom, la multiplicité des organisateurs n'ayant pas des convictions uniformes. « On n'est pas là pour prêcher une vérité. »

« Au moins, on va parler d'identité française autrement »

Tout ce monde abordera des thèmes allant de la restitution de l'art africain à l'écologie politique dans les outre-mer, des luttes sociales dans les banlieues aux imaginaires touristiques coloniaux… Sans oublier les concerts, notamment à La Bobine en soutien à SOS Méditerranée, et à la Bifurk où se jouera un "concert décolonial". Quésaco ? « C'est plutôt multiculturel », corrige Fabien. « On veut surtout montrer que le multiculturalisme, c'est hyper positif. » Les accusations de renforcement du communautarisme, il les balaie : « On ne va jamais critiquer le communautarisme des bourgeois blancs entre eux. On appartient tous à des communautés ! On pense justement que pour ne pas fermer les communautés sur elles-mêmes, il ne faut pas les discriminer ; ce n'est pas en les mettant de côté qu'on va régler le problème. »

L'an dernier, le Mois décolonial avait attiré 1500 personnes, selon les organisateurs. « Le décolonialisme, la laïcité, pour toute une génération ça ne fait même plus débat. En 2021, on a surtout reçu des gens de moins de 40 ans. » Est-ce que des curieux sont venus sans être spécialement investis dans l'antiracisme ? « Ce n'était pas majoritaire, mais on a eu des gens grâce au buzz médiatique. Beaucoup sont venus et sont repartis, d'ailleurs, sans comprendre pourquoi il y avait eu un tel buzz. » Pour cette seconde édition ils espèrent une affluence de 2500 personnes.

Que l'on soit en phase ou pas avec la pensée décoloniale, et quels que soient les fondements et l'ampleur qu'on lui attribue, impossible de fermer les yeux sur le racisme dans notre société, chiffré par de multiples enquêtes on ne peut plus officielles (accès au logement, à l'emploi, niveau social, contrôles par les forces de l'ordre…). L'hystérisation autour de ces questions ne contribue pas à faire avancer les choses, on dirait même que c'est le contraire, vu la campagne électorale pré-guerre en Ukraine. « Au moins, on va parler d'identité française autrement, aborder le sujet par un autre prisme que "les noirs et les arabes sont méchants". On essaie de complexifier un peu le discours. »

Mois décolonial du 3 au 31 mars, programme complet sur moisdecolonial.fr/programme


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