"Le Monde d'hier" et "En même temps" : deux petits tours et ça repart

Au moment d'accomplir son devoir civique, le citoyen trouve avec "Le Monde d'hier" et "En même temps" deux films entrant spectaculairement en résonance avec les problématiques politiques et politiciennes hexagonales. Quand le cinéma raisonne davantage que le débat public…


Deux œuvres, deux ambiances. Mais une même stupéfiante clairvoyance pour décrire le marasme politique contemporain, la crise des convictions, jusqu’à la géopolitique actuelle. D’un côté, Le Monde d’hier, un thriller dans lequel la présidente de la République sortante, ne se représentant pas, est informée à quelques jours du scrutin que le candidat de son parti va être compromis par une affaire de corruption ourdie par la Russie (!), facilitant l’arrivée au pouvoir du candidat d’extrême-droite. Le secrétaire général de l’Élysée l’enjoint à prendre des mesures d’exception pour sauver la démocratie…

Difficile de ne pas être troublé par ce film extrapolant à peine le contexte présent et reposant sur une connaissance acérée des institutions, où nombre de clefs rendent les situations, comme les personnages, très familiers – la présence de Davet et Lhomme au scénario n’y est pas étrangère. S’engageant de manière statique sous les ors de la République, histoire de marquer le spectaculaire et le pompeux de l’exercice du pouvoir hexagonal, Le Monde d’hier s’échappe de son apparence de (fausse) pièce théâtrale pour s’ouvrir progressivement à de nouveaux décors et gagner inversement en profondeur et en intériorité. S’il fait explicitement référence à Stefan Zweig pour bien souligner les dangereux échos entre les prolégomènes à la Seconde Guerre mondiale et notre époque, ce scénario tient de l’hypothèse d’école et du cas de conscience ; les tensions internationales actuelles le rendent davantage complexe et pertinent. Avec Féroce (2002), Président (2006), Le Candidat (2007),  L'Exercice de l’État (2011) ou Oranges sanguines (2021),  Le Monde d’hier s’inscrit dans le sillon de ces très rares thrillers politiques français explorant les arcanes de la Ve République et de ses conseillers faiseurs de rois – pardon, présidents. Podalydès, en vague Grossouvre, et Léa Drucker en présidente, étincellent à la tête d’une distribution parfaite. Cerise sur le Château : la BO de Valentine Duteil est excellente.

En même temps sur les écrans…

De l’autre côté, la fable caustique En même temps, où deux maires de bords opposés (un écolo et un opportuniste de droite), devant négocier un accord autour d’un projet d’aménagement local, se retrouvent littéralement cul et chemise, collés à la glu extra-forte par un groupe de féministes activistes. Cette cohabitation inopinée d’une nuit va les rapprocher plus qu’ils ne l’auraient pensé. Buddy movie politique dans l’esprit de La Chaîne (1958) de Stanley Kramer, En même temps étrille par l’absurde et la dérision la parole politicienne (en tant que langue de bois creuse) comme la novlangue féministe et les moutons bêlant leurs dogmes. Renvoyant dos à dos (si l’on ose) les professionnels du pouvoir comme les mouvements plus ou moins structurés, le film serait, avec sa fin en forme de trac, de nature à inciter à réfléchir à deux fois avant de confier sa voix au premier marchand de soupe venu – ça tombe bien : il sort quatre jours avant le premier tour de la présidentielle – voire susceptible de convaincre les citoyens de reprendre concrètement leur destin en main.

D’une inépuisable richesse narrative (chaque plan abrite sa sous-histoire particulière), ce qui pourrait n’être qu’une somme de sketches et de trognes-personnages compose une mosaïque d’une circonscription électorale aussi valable qu’un sondage réalisé auprès d’un "échantillon représentatif"… la fantaisie surréaliste en plus. Kervern et Delépine signent ici l’un de leurs meilleurs films depuis Saint-Amour (2016), en intégrant au passage de nouvelles têtes à leur prodigieux cheptel. Vincent Macaigne et Jonathan Cohen ont certes la gueule de l’emploi, mais ils transcendent leurs personnages. Preuve que la colle ne doit pas forcément être utilisée avec modération sur les plateaux grolandais.

★★★★☆ Le Monde d'hier de Diastème (Fr., 1h30) avec Léa Drucker, Denis Podalydès, Benjamin Biolay… En salle le 30 mars

★★★★☆ En même temps de Gustave Kervern & Benoît Delépine (Fr., 1h41)  avec Vincent Macaigne, Jonathan Cohen, India Hair… En salle le 6 avril


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