Ceci n'est pas mon corps

Avec le spectacle "Be Arielle F." présenté à la MC2, l'artiste suisse Simon Senn questionne la porosité entre les mondes réel et virtuel en s'intéressant à une jeune femme dont le corps a été répliqué numériquement pour être utilisé par d'autres. Passionnant, et un peu flippant : ça valait bien une interview !


Comment est partie l'idée de cette conférence-spectacle ?

Simon Senn : Tout a démarré un peu par accident. Pour préparer un cours de réalité virtuelle que je donne (à la Haute école d'art et de design de Genève, ndlr), je voulais tester un système de captation de mouvements immersif en équipant mon corps de capteurs et en mettant un casque de réalité virtuelle, afin d'être littéralement immergé dans un avatar. Il me fallait un corps virtuel : j'en ai trouvé un sur internet, sur un site qui vend des scans 3D de corps existants.

Vous avez acquis le corps d'une femme, Arielle F.

Oui, j'ai finalement acheté un corps féminin car les masculins n'étaient pas du tout à ma taille ! Je me suis donc retrouvé virtuellement dans un autre corps : je regardais le mien avec le casque de réalité virtuelle et c'est celui d'une autre personne, une femme, que je voyais. Ça a été un moment assez merveilleux, l'un des plus beaux de ma vie. Je me suis tout de suite senti très à l'aise, j'ai trouvé que ce corps de femme m'allait très bien. Pendant un tout petit instant, j'y ai même cru ! Alors, très vite, j'ai voulu en faire un projet artistique.

Un projet artistique présenté sous forme d'enquête…

On peut dire ça. Une des premières choses qui m'a étonné, c'est la simplicité technique pour acheter ce corps, pour l'utiliser, le configurer… Tout ça a ouvert un grand nombre de questionnements en moi, légaux notamment. J'ai d'abord cherché à contacter des avocats, puis l'entreprise qui m'avait vendu ce scan 3D. Jusqu'au moment où je me suis décidé à retrouver la personne à qui appartient le corps.

Avec Be Arielle F., vous montrez que réel et virtuel sont fortement imbriqués, ce qui n'est pas sans poser de nombreuses questions…

Tout à fait. Ça a été une véritable prise de conscience pour moi. Ce ne sont pas deux choses qui s'opposent comme on peut souvent le penser, puisque la technologie permet ici une expérience très corporelle. Personnellement, j'ai un rapport assez ambivalent à la technologie, je suis autant fasciné qu'effrayé. Et c'est vrai qu'au cours de ma recherche, j'ai vite pu voir tous les effets néfastes possibles de cette imbrication.

Be Arielle F. du 12 au 14 avril à la MC2 ; de 5€ à 28€


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