Rachid Ouramdane : « Les lieux d'art doivent faire davantage de place à toutes les communautés »

Depuis un an, le chorégraphe Rachid Ouramdane, qui codirigeait le Centre chorégraphique national de Grenoble (CCN2) avec le circassien Yoann Bourgeois, est à la tête du prestigieux Théâtre national de Chaillot basé à Paris. Alors qu'il sera de passage à la MC2 avec son excellent spectacle "Corps extrêmes", on en a profité pour prendre de ses nouvelles. Interview.


En février 2021, on apprenait que le chorégraphe Rachid Ouramdane, codirecteur du CCN2 depuis 2016, allait quitter son poste en cours de mandat direction Paris. Logique, il venait d’être nommé à la tête du temple français de la danse qu’est Chaillot, l'un des six théâtres nationaux de l’Hexagone. Un site, magnifiquement situé place du Trocadéro, en face de la Tour Eiffel, dépositaire d’une histoire culturelle forte – les metteurs en scène Jean Vilar et Antoine Vitez, figures tutélaires du théâtre français, l’ont notamment dirigé, avant qu’il ne devienne, il y a une quinzaine d’années, un lieu consacré à la danse.

« Le président Emmanuel Macron a souhaité me confier cette responsabilité à Chaillot », nous avait expliqué l’an passé Rachid Ouramdane dans une longue interview faisant suite à sa nomination. « C'est pour moi une reconnaissance de mon engagement depuis des années et en particulier de ce que nous avons pu réaliser ici, à Grenoble. » Qu’en est-il aujourd’hui ?

Comment s’est passée votre arrivée à la tête de Chaillot il y a un an ?

Rachid Ouramdane : Bien ! Je suis arrivé tout de suite avec l’idée de protéger l’existant : je respecte infiniment le travail de mon prédécesseur Didier Deschamps, je n’ai donc pas du tout été dans une dynamique de tabula rasa. D’ailleurs, je dois être à la hauteur d’un héritage presque centenaire.

L’héritage d’un lieu voulu à la fois exigeant culturellement et accessible, populaire…

J’aime rappeler que ce lieu a été construit à l’occasion de l’exposition universelle de 1937 qui s’appelait "Exposition internationale des arts et des techniques appliqués à la vie moderne". Ce souci d’inscrire l’art dans la vie des gens, de le mettre en partage, est dans l’ADN de Chaillot, avec notamment la grande aventure du théâtre populaire de Jean Vilar.

Aujourd’hui, cette notion de populaire, pensée à l’époque en réaction à un théâtre plus bourgeois, a évolué. Elle n’est plus seulement pensée en termes de classes sociales, mais renferme d’autres enjeux, dont celui de faire encore davantage de place à toutes les communautés, et notamment les minoritaires qui commencent enfin à être reconnues dans notre société – même si nous avons encore du progrès à faire. Je suis donc venu à Chaillot avec une idée en tête : celle de construire un théâtre des diversités et d’hospitalité.

Ces mots peuvent agacer certains…

Malheureusement, il y aura toujours des personnes pour ne pas voir la transformation de la société qui les entoure, d’où certains lieux de culture qui, aujourd’hui, ne sont pas complètement en adéquation avec le monde actuel, avec l’ensemble des publics, des populations… Faire un théâtre des diversités et d’hospitalité demande un travail précis et sincère, et beaucoup de remise en question. Mais nous devons le faire, pour que l’ensemble des lieux d’art soient plus ouverts, accessibles, inclusifs…

Avez-vous emporté un peu de votre expérience grenobloise à Chaillot ?

C’est un territoire qui me reste cher en tant qu’artiste. Le spectacle Corps extrêmes, que les Grenoblois pourront voir à la MC2, est par exemple né de l’imaginaire que j’ai développé pendant ces années grenobloises, avec ce rapport fort à la montagne, à des grimpeuses comme Nina Caprez et Ann Raber, au funambule Nathan Paulin que j’ai rencontré à Grenoble…

Mon passage à Grenoble a également été important pour faire mes armes, imaginer des dispositifs, expérimenter certaines philosophies d’accessibilité à la culture… Mes nouvelles fonctions m’assurent d’ailleurs un lien toujours fort avec Grenoble et le reste de la France, comme le Théâtre national de la danse de Chaillot a pour mission d’être en lien avec l’ensemble des labels nationaux, dont les centres chorégraphiques. Je me dois de n’en favoriser aucun bien sûr, mais il est vrai que j’ai des facilités à échanger avec le CCN2 ! Et également avec la nouvelle direction de la MC2.

Enfin, c’est aussi un territoire où je reviens régulièrement, puisque je vis entre Paris et la montagne. J’étais encore à la MC2 il n’y a pas si longtemps pour la soirée voguing !

Corps extrêmes, que vous présentez à la MC2, est un spectacle qui a des liens forts avec Möbius, votre création à succès de 2019 avec les circassiens du collectif XY…

Oui. Au début, je pensais, pour Corps extrêmes, ne travailler qu’avec des sportifs de l’extrême pour montrer la façon dont ils s’appuient sur des environnements, dont ils sont à l’écoute de la nature afin de réaliser des prouesses… Nathan Paulin m’a par exemple longuement expliqué comment il devait composer avec les infimes variations du vent, c’était passionnant à écouter.

En parallèle, lors de mes répétitions avec le collectif XY pour Möbius, j’ai vu l’attention que ces circassiens avaient à l’autre, et notamment l’autre corps. Eux, leur pratique, c’est le main à main. Les choses folles qu’ils sont capables de réaliser, ils ne peuvent les mener qu’avec leurs partenaires dans un travail très sensible, fragile, d’écoute… J’avais alors tout un spectre qui se dévoilait devant moi. J’ai décidé de réunir tous ces gens du monde de l’aérien dans un seul spectacle pour rappeler nos fragilités, et que ces fragilités ne sont pas toujours des faiblesses.

Corps extrêmes mercredi 13 et jeudi 14 avril à la MC2 ; de 5€ à 28€
Critique du spectacle sur petit-bulletin.fr


Repères

1971 : Naissance, à Nîmes, de parents d’origines algériennes.

1992 : Diplômé du Centre national de danse contemporaine d'Angers. Il devient interprète pour plusieurs chorégraphes – Alain Buffard, Catherine Contour, Hervé Robbe, Odile Duboc, Meg Stuart…

2007 : Il fonde sa compagnie. Ses projets sont souvent aux frontières de la danse et du documentaire.

2016 : Il devient co-directeur, avec Yoann Bourgeois, du Centre chorégraphique de Grenoble (CCN2) à la suite de Jean-Claude Gallotta.

2021 : Il est nommé directeur du Théâtre national de Chaillot. Il succède à Didier Deschamps.


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