L'énergie explosive des favelas

Avec "Roda Favela", le metteur en scène Laurent Poncelet s'attaque à Jair Bolsonaro, ce président d'un Brésil qu'il aime depuis quinze ans. Au plateau, douze artistes multifacettes invitent le spectateur dans leur favela, un condensé d'énergie brute qui se libère autant dans la joie que dans la violence.


Avant même de s’asseoir dans les fauteuils rouges de l’espace Paul-Jargot, on y est, au Brésil. Les douze comédiens brésiliens naviguent et jouent avec le public, l’interpellent, et déjà, la musique. Tout au long de Roda Favela, le dernier spectacle de Laurent Poncelet, la troupe joue en direct sur des instruments traditionnels, percussions et berimbau, cet arc musical qui rythme la capoeira. La vie quotidienne de ces quartiers très pauvres de Rio est interrompue par l’apparition à la télévision du président brésilien Jair Bolsonaro. Il discourt : « Si je vois deux hommes en train de s'embrasser dans la rue, je vais les frapper. » Bam, bam, bam ! Les comédiens forment une danse guerrière qui donne la chair de poule, frappent les peaux des tambours.

Habitué des saillies violentes contre les femmes, les noirs, les homosexuels ou les Amérindiens, Bolsonaro, élu en 2019, a considérablement aggravé la situation déjà difficile des habitants des favelas. La violence d’État et l’encouragement officiel à s’en prendre aux communautés afro-brésiliennes, LGBT ou autres s’ajoutent à la très grande précarité, aux trafics, à la drogue et tout ce qui va avec. Sans même parler de la (non) gestion de la crise sanitaire. C'est ce régime que dénonce frontalement Laurent Poncelet, chantre de ce théâtre social et mondial qu'il pratique depuis longtemps (Les Bords du monde, Le Soleil juste après...). Roda Favela raconte une histoire, celle d’une communauté qui rebondit de la misère à la joie, de la violence à la légèreté. Des fêtes, un décès, des affrontements, des démons. Des familles qui vivent ensemble pour le meilleur et pour le pire. En dehors de la dramaturgie elle-même, la pièce doit sa puissance à la vigueur et au caractère qui se dégagent de ces artistes, la force des percussions et l’ardeur des danses, qui virent à la transe et sanctifient fièrement les racines africaines des Brésiliens.

Tournée militante

Au terme de la représentation, les artistes saluent, l'une des danseuses craque, fond en larmes. L'intensité du spectacle est d'autant plus forte qu'elle est ressentie pleinement par les artistes. Des petits extraits vidéo des mêmes comédiens, tournés au Brésil en décembre dernier, émaillent le récit. Laurent Poncelet fréquente ce grand pays depuis quinze ans, et récemment, un vingtenaire proche de la troupe a perdu la vie, tué par balles. Le metteur en scène l'avait rencontré à 11 ans sur les planches, il est mort à 23. Pas d'enquête, « il y a des dizaines de tués par jour dans cet État, ils s'en foutent », balaie Laurent Poncelet. Les larmes montent et la voix se noue à l'évocation de ce jeune Romario. « Ce spectacle, je l'aurais fait de toute façon. Mais ça ajoute un côté devoir de mémoire... » Roda Favela déploiera toute sa valeur militante au terme de sa tournée en France, puisque le spectacle partira ensuite au Brésil pour une série de dates chapeautée par... l'Ambassade de France elle-même.

Roda Favela le 29 avril à 20h30 à l'espace Paul-Jargot (Crolles), de 7€ à 16€ ; le 5 mai à 20h au Grand Angle (Voiron), de 10€ à 20€ ; le 6 mai à 20h30 au Coléo (Pontcharra), de 5€ à 18€ ; le 7 mai à 20h30 au Cairn (Lans-en-Vercors), de 12€ à 18€ ; le 8 mai à 18h au Diapason (Saint-Marcellin), 10€ ; le 12 mai à 20h30 au Jeu de Paume (Vizille), de 10€ à 15€ ; le 13 mai à 19h30 à l'Espace 600 (Grenoble), de 5€ à 13€ ; le 14 mai à 20h30 au ciné-théâtre de La Mure, 12€/13€/15€


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