Les festivals fanent aussi

Elle n'avait pas vraiment commencé, qu'on l'affublait de « retour à la normale » et de reprise « post Covid ». Elle n'est pas tout à fait finie, qu'on lui tire le portrait. Un premier bilan de cette saison 2022 des festivals et concerts d'été se dessine partout en France. Petit tour d'horizon du secteur par chez nous. 


Remplir ou mourir, c'est un peu la ligne funeste à laquelle s'astreignent de nombreux organisateurs de festivals. Prise de risques maximale donc pour la première édition du festival Les Outre Mers à Rives, organisée par l'association Peyotl en juillet dernier. « L'implantation, c'est chose faite », estime Didier Semiramoth, chef d'orchestre du projet. Il fallait démontrer un certain « sérieux », glisse-t-il, dans cette volonté de construire l'histoire commune d'un festival nord-isérois dédié aux richesses ultramarines. Attirés par une programmation reggae, les festivaliers ont dépensé 25€ par soir pour profiter de la scène et des divers stands. Une petite centaine de bénévoles a permis d'exhausser l'ambiance chaleureuse et artisanale sur place, malgré une fréquentation plus que timide… 600 personnes en moyenne chaque jour, contre 1 500 escomptées.

La densité de l'offre festivalière partout en France ne fait pas exception dans la région. L'effet concurrentiel qui en découle n'aide pas les petits acteurs à obtenir des partenaires publics ou privés d'une part, à attirer le public de l'autre. « Face à nous, se tenait le Vercors Music Festival », signale Didier. Ce dernier confiait déjà en amont du festival n'avoir qu'un unique soutien financier : la mairie de Rives.  « Tout repose sur la billetterie. » Compréhensible, dès lors, que la frêle fréquentation de cette première édition laisse derrière elle une enveloppe de 90 000€ de déficit. Renoncer n'est pas une option pour l'organisateur des Outre Mers à Rives. Il compte sur Julien Stevant, maire de Rives, qui « part au charbon pour mobiliser le Département ».

« La multiplication des événements divise inévitablement le public », assène Bernard Ferrari, programmateur de la Fête du Travailleur Alpin, qui a réuni deux soirs d'affilée 1500 spectateurs à Grenoble, un poil moins qu'attendu. Organisé par l'association grenobloise Retour de Scène, le festival Magic Bus n'aura pas non plus cette année rempli sa jauge de 2000 personnes, malgré le peu de concurrence sur ses dates fin mai. « Est-ce qu'il faut grossir encore le festival pour que les têtes d'affiche soient plus importantes, et risquer une fuite en avant, ou bien revenir à un format plus petit ? » se questionne Damien Arnaud, organisateur du festival Magic Bus. En misant sur une programmation découverte pour une entrée à 5€ seulement, la soirée du jeudi soir, à l'Esplanade, a quant à elle prouvé son efficacité.

Faux bond aux gros

Être à l'article de la mort lorsque l'on est un petit festival associatif, dont les rentrées d'argent dépendent principalement de la billetterie faute de partenaires, c'est une chose. D'autant que les coûts de production – cachets artistiques ou techniques – ont augmenté pour tous. Être à l'article de la mort, lorsqu'on s'appelle Musilac et que l'on fête son 20e anniversaire en grande pompe, on l'avait moins vu venir… Du côté de cet aîné, rendez-vous incontournable de la région, la prise de risque était à la hauteur de sa réputation et de la tant attendue "reprise post Covid". Les choses ont pourtant mal tourné.

On ne le voyait pas sous cet œil en participant à la fête d'anniversaire du festival savoyard sur les rives du lac du Bourget. Au milieu de la foule compacte de festivaliers, on a vu se bousculer chaque soir des têtes d'affiche d'exception, fonctionnant quasiment par paire. Pour le prix d'un Orelsan, on vous offre un Vianney, pour le prix d'une Angèle, voilà -M- qui se jette dans la foule en liesse, pour un Simple Minds, voilà encore l'impolitesse de Sum 41 ! Et malgré tout cela, les chiffres et déclarations de Rémi Perrier grondent au lendemain de la fête. « Pour la première fois depuis que Musilac existe, je ne suis pas en mesure de donner les dates du prochain festival. La fréquentation n'a pas été à la hauteur de nos espérances », indique le co-fondateur de Musilac à nos confrères du Dauphiné Libéré. « Nous avons comptabilisé 80000 spectateurs sur les cinq jours. Il nous en fallait 100000 pour parvenir à l'équilibre financier. Je fais donc face à un déficit de près d'un million d'euros et je n'ai pas les moyens de le renflouer. Dans ces conditions, je ne peux pas me lancer dans une nouvelle programmation. »

20 000 festivaliers ont fait faux bond à Musilac, malgré sa programmation très grand public et une soirée de concert supplémentaire cette année. En Ardèche, 12 000 festivaliers ont boudé Aluna, qui s'était pourtant payé le concert come-back de Stromae en France. Différence de taille entre les deux festivals déficitaires : Musilac est une entreprise privée. Et ne peut, à ce titre, bénéficier de subventions du Département, depuis la loi NOTRe de 2015 qui l'interdit pour les petites et moyennes entreprises. Si l'on estime ici que l'hippopotame, animal mascotte de Musilac, a la peau dure et qu'il n'est pas encore sous terre, on aurait bien voulu trouver confirmation auprès des organisateurs. Rémi Perrier n'a pas répondu à nos sollicitations. Mais tout n'est pas perdu ; la question d'un sauvetage par de nouveaux partenaires et d'une réorganisation complète de l'événement plane encore.

Indépendant et fier de l'être

À la Fête du Travailleur Alpin, perpétrée par les militants communistes d'Isère depuis presque un siècle, on n'en veut pas aux gros festivals de faire de l'ombre aux petits. Pour Bernard Ferrari, directeur de l'événement grenoblois, l'édition 2022 a fonctionné malgré « des préventes catastrophiques » liées à la mauvaise conjoncture. « On est sur un équilibre financier », indique-t-il sans crier victoire. « En tant qu'organisateur d'événements, j'ai la certitude que l'on va vers de plus grandes difficultés encore. » Le régisseur général de la Fête du Travailleur Alpin attaque les politiques culturelles régionales et départementales. Lesquelles n'aident pas suffisamment d'après lui les petites structures, ni n'encouragent la découverte de la scène locale. Les chèques de la région Auvergne-Rhône-Alpes versés à des mastodontes tels que Tomorrowland (Alpe d'Huez), et au tout neuf festival Inversion (Lyon), passent mal. « On ne veut pas être tributaires de l'argent public ou des partenaires », lâche Bernard Ferrari. Voilà tout un équilibre à trouver entre argent public et indépendance.

« Faire autre chose que juste consommer de la musique, ça attire de plus en plus »

Tout autre ambiance à Saint-Geoire en Valdaine, en pays voironnais, où l'association Mix'arts a implanté  la 5e édition du festival Bien l'Bourgeon. Carton plein cette année, un son de cloche qui contraste avec la situation difficile du secteur décrite plus haut. Pas les mêmes jauges, le même emplacement, le même modèle, philosophie ou encore public. « On aurait même pu avoir plus de monde, mais le site ne s'y prêtait pas », glisse Fabien Givernaud, de Mix'Arts. Contrairement à d'autres, les organisateurs ont enregistré une ruée vers leur billetterie bien en amont de l'événement. À l'instar d'autres festivals indépendants de même catégorie, Bien l'Bourgeon mise gros sur sa billetterie et n'est pas tributaire de subventions mirobolantes. Comme les autres, le festival a vu ses coûts de production, coûts artistiques et techniques, augmenter. 

Avec ses conférences, concerts, spectacles, débats, ateliers, etc. sur la thématique de l'agriculture et la souveraineté alimentaire, l'événement a attiré quelque 2000 festivaliers par jour, d'âges et origines géographiques ou sociales diverses. Pour Fabien Givernaud, « faire autre chose que juste consommer de la musique, ça attire de plus en plus ». Le rapport du think tank Shift Project "Décarbonons la culture !" de novembre 2021, renforce une conviction de l'organisateur grenoblois : la course au gigantisme doit cesser. « Ce modèle a un impact écologique dramatique. Mais économique aussi, avec des billets à 60€ - 70€, on force les gens à se serrer la ceinture et on fait exploser les cachets. De sorte que les petits acteurs ne peuvent plus suivre », déplore Fabien. Le festivalier, en pleine métamorphose depuis la crise sanitaire, serait-il si difficile à décrypter pour les professionnels du secteur ? Réponse en 2023.


<< article précédent
Lucille Lheureux : « À partir du moment où un projet artistique existe, la Ville a la responsabilité de l’accompagner »