Contrastes scéno-graphiques

Tirant parti de la spécificité des trois sites désormais rassemblés sous l'entité commune du TRACé, la Biennale de design graphique d'Échirolles ambitionne de témoigner d'une certaine diversité de ce que peut recouvrir la discipline, à travers des choix scénographiques contrastés.


Pas évident de trouver le musée de la Viscose ! Installé dans le dernier bâtiment résiduel des usines qui lui ont donné son nom ; coincé entre les travaux de la bretelle d'autoroute du Rondeau et une flopée de hangars, il est peu probable de passer ici par hasard. Une fois franchie la porte, le premier étage du musée où s'est installé la Biennale nous plonge dans un univers qui rompt radicalement avec l'extérieur. Tandis que l'intense blancheur des graviers du parking nous fait plisser les yeux, la pénombre de la scénographie adoptée par Martial Barrault nous dilate les pupilles.

Les trois artistes présentés ici travaillent l'animation, souvent le numérique, parfois même le code, et leurs œuvres sont à découvrir sur des écrans encastrés dans les cimaises. Adepte du travail à partir de logiciel, l'illustratrice Léa Zhang déploie un univers graphique expressif qui semble souvent le fruit d'un travail analogique. Librement nourrie de références cinématographiques, son œuvre se trouve ici exposée par thématiques (le temps idéal, le temps qui passe...).

S'ensuit l'accrochage de Benjamin Bardou, qui ne laisse pas de doute sur la part essentielle de bidouillages numériques nécessaires à la création de ces images. Aux visions futuristes d'une mégalopole à l'urbanisme délirant, il oppose une série de petits films dont les images semblent se dissoudre sous nos yeux. Ces mini-travellings réalisés dans des villes bien réelles apparaissent comme les souvenirs évanescents d'une époque révolue... Enfin, bercé depuis les années 1980 par le codage informatique, Julien Gachadoat en explore la dimension poétique en composant sur les écrans des chorégraphies hypnotiques et sur le papier de subtiles compositions graphiques.    

Retour vers le papier

Après l'immatérialité propre à la création numérique sur écran, la biennale nous fait palper la matérialité de la création éditoriale artisanale grâce à une carte blanche à la maison d'édition Marchialy. Fondée en 2016, spécialisée dans la « littérature sans fiction » (des récits véridiques donc), Marchialy a la particularité de ne travailler qu'avec un seul artiste : le graveur Guillaume Guilpart. Stimulé par le parcours détonnant des personnages de ces récits improbables (un sérial-killer cannibale au Venezuela ou un militaire travesti prisonnier des Farc en Colombie…), Guillaume Guilpart se livre à un travail graphique dont l'exposition nous fait part des allers-retours avec l'éditeur. On découvre ainsi le matériel de gravure, les dessins originaux, les éditions, ainsi que les maquettes de couvertures non retenues, ou refusées par Marchialy. Un univers graphique foisonnant présenté dans les espaces aérés et lumineux du musée Géo-Charles, dont la scénographe Mathilde Gullaud a su habilement tirer parti – un accrochage tout à l'opposé de celui du musée de la Viscose qui est volontairement obscur, exigu et oppressant.  

Réchauffement climatique un peu tiède  

Enfin, au Centre du graphisme, les scénographes Yann Moreaux et Emmanuel Mille tentent de donner une forme " exposition " à un projet en ligne créé en 2018 par Thierry Sarfis et Arnaud Corbin – à savoir une banque d'images libres de droit  consacrées à l'urgence climatique. Ainsi, des réalisations de stars du graphisme côtoient des contributions anonymes et sont indifféremment présentées sur des pancartes plantées dans des sortes de barricades faites de matériaux recyclés (histoire d'être en accord avec le propos). L'ensemble n'est pas franchement convaincant. Quitte à causer d'un sujet de société particulièrement brûlant, on aurait aimé voir tout cela investir les rues de la métropole et rappeler que le graphisme est avant tout au service de la communication (pour le pire et le meilleur) et pas initialement destiné à être présenté dans la bulle aseptisée d'un centre d'art.   

Biennale de design graphique jusqu'au 30 octobre au TRACé Echirolles, entrée libre  


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