Le Monde au coin de la rue, intimités partagées

Chaque année, l'association À Bientôt J'espère transforme, l'espace d'une semaine, la Maison des habitants du quartier Alma-Très-Cloîtres en cinéma éphémère, pour accueillir des documentaires de création en forme d'"histoires de vie". Décryptage.


C'est l'histoire d'un voisin dont le mode de fonctionnement, un peu en marge, rentre en conflit avec celui des autres habitants de son immeuble. De deux sœurs adolescentes qui partagent depuis des années la même chambre au sein de la maison familiale. D'anciens chefs de gang des quartiers sud de Chicago, qui tentent d'interrompre le cycle de violence endémique qui les entoure. D'un amour entre deux jeunes filles dans la France des années 20. D'une femme qui envisage une opération chirurgicale pour mettre fin à son obésité. D'une jeune mère de famille décidée à sortir d'une relation conjugale violente. Du combat de femmes transgenres en proie à la violence patriarcale en Argentine… Des histoires de vie, des histoires intimes, des histoires de lutte, que le cinéma documentaire, par son format libéré des contingences d'écriture habituelles, permet seul de traiter avec le temps, la profondeur et la justesse nécessaire. Des histoires enfin, qui nécessitent d'être projetées au bon endroit de manière à pouvoir entrer en résonance avec leur public. Et c'est là qu'intervient le festival Le Monde au coin de la rue.

Faire tomber les barrières

Fruit d'un travail au long cours dans le quartier Alma-Très-Cloîtres, en collaboration avec des travailleurs sociaux, des associations de terrain et divers acteurs du quartier, la programmation du Monde au coin de la rue prend ainsi forme dans un cadre inhabituel, celui d'une Maison des habitants transformée en cinéma éphémère. Comme l'explique Loïc Cloez, « le lieu de projection n'est jamais neutre : installer un cinéma ici, ça permet de toucher un public différent, qui est habitué à fréquenter l'endroit pour d'autres raisons ». Tôt le matin, à 8h45, le "café du doc" propose ainsi un film court accompagné de café et de chouquettes. À 20h30 (ainsi qu'à 18h le jeudi et vendredi), ce sont les formats longs qui prennent le relais, le plus souvent en présence des réalisateurs… qui sont généralement des réalisatrices : « On constate leur prépondérance dans nos programmations chaque année, et ça n'est pas un hasard : il y a dans leurs films une manière de dire le monde qui vient toucher juste. Peut-être que c'est ça qu'on vient chercher, au fond, quand on voit un film : avoir un choc, vivre une expérience qui va changer notre regard sur les situations. Et peut-être que leurs regards, leurs manières de faire le récit du réel sont aujourd'hui les plus percutants. »

Le Monde au coin de la rue  du lundi 17 au vendredi 21 octobre à la Maison des habitants du centre-ville, entrée libre


Le documentaire de création, une passion grenobloise

Est-ce un particularisme local ? Toujours est-il qu'à Grenoble, le documentaire de création, une frange cinématographique pourtant peu connue du grand public, est particulièrement bien représenté. Aux côtés d'À Bientôt J'espère, plusieurs associations jouent ainsi un rôle actif dans sa diffusion, comme O.A.S.I.S., qui après avoir organisé pendant de nombreuses années Les Rencontres autour du film ethnographique, collabore aujourd'hui fréquemment avec le collectif Ici-Même pour « créer des dispositifs de projection hors des salles, là où le cinéma n'existe pas encore », explique Nina Moro. Même volonté de relier le sujet des films aux lieux où ils sont projetés chez le collectif de cinéastes Cinex, qui fabrique et diffuse du cinéma documentaire de création depuis 30 ans et organise l'Excentrique Cinéma, dont la prochaine édition se déroulera du 15 au 18 novembre dans différents lieux grenoblois (on y reviendra). Un tissu fertile donc, pour un cinéma hors-norme et « très loin du documentaire classique ou du reportage », comme l'explique Yoann Demoz de Cinex : « L'idée, c'est de créer à partir du réel, de faire du réalisateur, de sa place et de son point de vue quelque chose d'inédit, et de raconter ainsi des choses de manière singulière et personnelle. »


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Léonard Lampion, le feu sous la glace