Jean-Marc Rochette sublime "La dernière reine"

Après “Ailefroide”, album autobiographique, Jean-Marc Rochette dévoile dans “La dernière reine” ses passions et préoccupations à travers le parcours d'un cabossé de la vie. Nous l'avons rencontré à Autrans le 4 novembre où il était l'invité des organisateurs du Festival international du film de montagne pour le lancement national de son livre, avec les éditions Casterman.


En 2018 sortait Ailefroide, altitude 3954, album autobiographique brillant et aiguisé où Jean-Marc Rochette retraçait ses premières expériences d'alpinisme et clamait son amour de la nature sauvage et de la montagne, terre d'aventure et de refuge. Une exploration de ses Alpes natales qu'il poursuit en 2019 avec Le loup puis dans sa nouvelle BD La dernière reine, sortie le 4 novembre.

Album étrangement et autrement plus personnel et introspectif qu'Ailefroide : « Je pense qu'il y a plus d'autobiographie dans La dernière reine. Ce dernier album va plus profond dans ce que je pense. Il ne raconte pas mon histoire mais je pense qu'il est plus proche de ma vision et de qui je suis », nous confirmait-il en aparté. Les thèmes qui lui sont chers sont abordés dans un ample récit à facettes composé de 3 personnages. 

Il y a l'ourse, dernière reine du massif du Vercors, tuée en 1898. On l'apprend dans les premières pages du livre. Témoin de cette scène de chasse, Édouard Roux, enfant vivant seul avec sa mère (comme Jean-Marc Rochette) dans une ferme isolée, est révolté, choqué. « Cet épisode fondateur de 1898 va lui coûter cher car il menace ses camarades qui se moquent », analyse Jean-Marc Rochette. Édouard subit les railleries et humiliations des enfants. Dans cette France pudibonde et étroite d'esprit, sa mère est une sorcière « qui couche avec les ours », Édouard, avec ses cheveux roux, est son fils bâtard. 

Plus tard Édouard est enrôlé dans la première guerre mondiale pendant laquelle il perd la moitié de son visage. « Dans une des planches, le médecin qui soigne Édouard lui recommande de ne surtout pas se regarder dans une glace. Cela a aussi à voir avec mon histoire parce que quand j'ai pris ma pierre sur la tronche en montagne, le type qui m'a ramené dans sa 4L m'a dit de ne pas me regarder dans le rétroviseur. »  

Gueule cassée, Édouard perd le goût de vivre, sombre dans l'alcool - « comme un type que mon grand-père a connu cours Berriat à Grenoble. Il s'appelait Édouard… », enchaîne les boulots de force avec un sac sur la tête, avant de rencontrer une femme, Jeanne Sauvage, sculptrice animalière à Montmartre qui lui refera son visage et dont il tombera amoureux. Jeanne l'aide à se reconstruire et lui fait découvrir le milieu artistique parisien des années 20. « J'en profite pour mettre quelques petits coups de griffes au milieu, comme à Marcel Duchamp que je qualifie de pervers de la dialectique ». Édouard l'emmène dans ses espaces préservés et reculés du sud Vercors peuplés de bêtes sauvages. Son refuge, son havre de paix. « C'est dans le sud Vercors, quand je grimpais vers le cirque d'Archiane, que j'ai vu les plus belles forêts », se souvient l'auteur.

Il y a ainsi dans cet album ambitieux de 240 pages beaucoup de Jean-Marc Rochette, de son histoire mais aussi de sa vision du monde : sur l'art et sa marchandisation, sur le lien de l'homme à la nature, l'animisme, son rejet des conventions, son goût pour l'isolement, son penchant pour les mouvements libertaires… 

Les dessins aux traits tranchés, aux couleurs froides, sans beaucoup de lumière, soulignent le propos de cette tragédie annoncée dès les premières pages. Mais c'est aussi une magnifique histoire d'amour et un hymne à la vie sauvage et à la montagne.

Rencontre et dédicace avec l'auteur :

Le samedi 8 octobre de 15h à 18h à la librairie Momie Folie à Grenoble

Le jeudi 13 octobre à la librairie BD Fugue Café à Grenoble. Horaires non précisés. Tèl : 04 38 37 18 36.

La Dernière reine, 28€, Éditions Casterman.

 


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