Renaissance du Magasin : « La magie du lieu fonctionne toujours »

Le 18 novembre 2022, rendez-vous capital dans la longue histoire du Centre national d'art contemporain de Grenoble. Passé d'une excellente réputation internationale à une fermeture douloureuse due à des dissensions et des choix controversés, le Magasin rouvrira ses portes bleues, restées closes durant des années. Avec des artistes, des expos, des performances, et un tout nouvel espace dédié aux enfants.  


Sous la vaste verrière de Gustave Eiffel, plastiques au sol, ouvriers s'affairant à blanchir les murs, raccorder les prises électriques. Le grand chantier en cours au Magasin se cache derrière la porte bleue emblématique de ce bâtiment de 3800 m2. Neuf mois après l'arrivée de Céline Kopp, la nouvelle directrice du CNAC de Grenoble, la réouverture approche. « Neuf mois, c'est assez symbolique », glisse-t-elle dans un sourire.

Jour J le 18 novembre. « Cette réouverture, ce ne sera pas juste le vernissage de l'exposition, c'est la totalité du bâtiment qui se réveille. » Autour de "la rue", cette grande artère centrale froide et superbe, les espaces prennent forme. À gauche à l'entrée, l'accueil et le retour de la librairie, dotée d'un espace café, « pour passer du temps, au-delà d'une simple visite d'exposition ». La sélection des ouvrages présentés à la librairie fera elle-même l'objet d'une résidence d'artiste-commissaire-archiviste : rien n'est laissé au hasard.

À droite, c'est inédit, le "petit bocal" est un espace dédié aux enfants, qui pourront participer ici à des ateliers, des jeux, à leur premier contact ludique avec les arts visuels. Plus loin, une "petite" salle d'exposition, nommée, pour le moment, "la galerie expérimentale", accueillera des expos d'artistes émergents, sur une programmation annuelle. Premier rendez-vous avec Binta Diaw, artiste italo-sénégalaise issue de l'École supérieure d'art et design de Grenoble, qui travaille sur l'identité et l'intersectionnalité. Elle sera suivie, en mars 2023, d'une exposition d'une autre ancienne de l'Esad de Grenoble, Cindy Bannani. Au fond de "la rue", l'auditorium reprendra aussi vie le 18 novembre, avec des performances de l'artiste Ivan Cheng. Encore en cours d'aménagement, une salle de pratiques accueillera les différents publics.

« Il s'agit de montrer la valeur et la force de l'art dans le monde actuel, c'est-à-dire l'ouverture d'espaces de respiration, de la joie et du collectif. »

Point d'orgue de la réouverture, la grande galerie, avec le premier vernissage d'une expo depuis des lustres. La Position de l'amour réunit onze artistes (Rebecca Bellantoni, Ivan Cheng, Ufuoma Essi, Gabrielle l'Hirondelle Hill, Celin Jiang, Valentin Noujaïm, Prune Phi, Hannah Quinlan & Rosie Hastings, Anna Solal, Alvaro Urbano). « Cette exposition de groupe est totalement représentative des pratiques artistiques d'aujourd'hui, avec des représentants autant de la scène française qu'internationale, et une grande diversité de mediums », commente Céline Kopp. « L'envie était de rassembler des artistes dont les pratiques résonnent avec la direction globale que je souhaite donner au Magasin. Des pratiques qui s'inscrivent dans le présent, dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, avec toutes ses hostilités. » Et ce titre romantique, La Position de l'amour ? « L'amour n'est pas forcément qu'une émotion, c'est aussi un être et un choix. L'exposition s'inscrit dans les idées développées par des autrices comme Bell Hooks ou Arundhati Roy, qui a cette capacité d'écrire la violence du monde avec la même intimité qu'elle utiliserait pour parler d'amour… Les œuvres portent un engagement fort avec le monde, une conscience de l'interconnexion de nos existences, et une notion d'ouverture vers l'inconnu. Il s'agit de montrer la valeur et la force de l'art dans le monde actuel, c'est-à-dire l'ouverture d'espaces de respiration, de la joie et du collectif. » 

Depuis son arrivée à Grenoble en février, le premier geste de Céline Kopp a été de faire revenir les artistes au Magasin. Chaque élément de décor et de scénographie, dans le mobilier, a été soigneusement réfléchi par des artistes, jusqu'à l'identité visuelle du nouveau CNAC, qui a fait l'objet « d'une véritable recherche expérimentale par les graphistes du duo Alliage, Lucile Martin et Julien Pik ». L'agencement et le mobilier ont été définis et construits en tant que projet artistique, baptisé "Endémique" et mené par Clémence Seilles, du collectif Stromboli, qui s'est elle-même entourée d'autres artistes (la peintre Natacha Mankowski, le sculpteur Alexis Bondoux, la designeuse Laure Jaffuel, en particulier). Des créateurs locaux ont aussi participé, notamment la Fabrique des Luddites, basée à Chatte, et un artisan céramiste de Villard-de-Lans. « Les artistes sont tous arrivés avec un super pouvoir mis au service d'une intelligence collective. » Toute une équipe, épaulée par des étudiants de l'Esad, qui ont pu prendre part au projet en avant-première. À leur entrée dans les lieux, les artistes ont farfouillé dans des tonnes de vieux matériels restés stockés ici, et ont choisi l'upcycling. « C'était des piles de déchets, des bois destinés à la déchetterie », assure Céline Kopp en caressant d'une main ces meubles aux couleurs pastel et aux formes ultramodernes. Seul matériau arrivé de l'extérieur, ces espèces de vastes plaques de morceaux de plastiques agglomérés, issus de l'industrie, qui les recycle à n'en plus finir pour en faire des protections de transport. Clémence Seilles a récupéré ces plaques pour construire, en les emboîtant comme des puzzles, des mobiliers évolutifs ; le "Petit bocal" est particulièrement réussi, ne laissant aucun doute sur la joie des enfants à investir le lieu.

D'entrée de jeu, un festival

Un vrai marathon s'engage pour que tout soit prêt le 18 novembre : œuvres, expositions, aménagement. L'équipe du Magasin, pas tout à fait au complet, ne s'est pas facilitée la tâche en mettant sur pied un festival, Les Gestes de la recherche, qui se déroulera du 21 au 24 novembre, avec chaque jour des performances, des projections, des nocturnes...

Et les travaux ne sont pas terminés. Propriétaire du bâtiment, la Ville de Grenoble, dans le cadre de la volonté d'ouverture physique des lieux portée par Lucille Lheureux, investit dans une grande porte vitrée, afin de lever le frein que représentent ces lourdes portes bleues, dont on n'ose pas trop tirer sur la poignée.

La vie revient enfin dans ce CNAC qui s'est complètement délité durant plusieurs années, entre problèmes internes, directions artistiques contestées, démissions en série, animadversion de l'association des Amis du Magasin… « Respiration », « réactivation », « réveil » : les trois mots les plus prononcés par Céline Kopp lors de notre visite, non sans une forme de douceur. « On réactive les espaces petit à petit, comme on réveille les organes d'un corps. La magie du lieu fonctionne toujours, il est un véritable moteur de l'imaginaire. »


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