Tous égyptomaniaques !

En nous proposant de découvrir la foisonnante collection de Jean-Marcel Humbert, égyptologue féru d'égyptomanie, le musée Dauphinois nous invite à nous interroger sur la manière dont ce détournement des codes de la civilisation égyptienne se fait le miroir de nos fantasmes et de nos peurs. Passionnant !


Qu'on soit bien clair : vous ne trouverez pas dans cette exposition la moindre antiquité égyptienne. On préfère le préciser d'emblée car vu l'engouement de certains pour la chose, il y a fort à parier qu'un bon nombre de visiteurs emportés par leur enthousiasme fassent l'erreur… Or, le fil rouge de cette exposition n'est pas l'Égypte antique mais bien l'engouement à son égard. En effet, si la longévité de cette civilisation n'a jamais été surpassée (rien moins que quatre millénaires…), il est remarquable de constater que notre enthousiasme pour celle-ci ne s'essouffle pas depuis le XVIIe siècle. Amplifié par la campagne d'Égypte de Bonaparte, accéléré par le déchiffrement des hiéroglyphes en 1822, relancé par la découverte du mythique trésor de Toutankhamon et son hypothétique malédiction un siècle plus tard, ce goût traverse les époques et apparaît dans les créations de tous genres : artistiques, architecturales, littéraires, publicitaires, scénographiques ou cinématographiques… Et c'est justement là le sujet de cette exposition qui, grâce à l'étonnante collection de Jean-Marcel Humbert, propose d'explorer les multiples facettes de cette égyptomanie qui ne cesse de se renouveler.

À la mode de Cléopâtre

Ainsi, depuis plus de deux siècles, les dieux, les architectures et les décors caractéristiques de l'Antiquité égyptienne, sont détournés par les Occidentaux, pour orner des pots à tabac, des décapsuleurs, des entrées de boîte de nuit, des meubles ou de la vaisselle... Grâce à un parcours très bien conçu, l'exposition excelle à révéler à quel point ces créations égyptisantes s'imprègnent des tendances, des modes et de l'esprit de la période où elles voient le jour. La galerie rassemblant le portrait des différentes actrices qui ont incarné Cléopâtre à l'écran est assez édifiante : en 1934, dans Cléopâtre de Cecil B. DeMille, on croirait Claudette Colbert prête à esquisser quelques pas de charleston tandis qu'en 1954 dans Deux nuits avec Cléopâtre, Sophia Loren pose comme une pin-up hollywoodienne. De même, les costumes et les décors des spectacles d'Aida dans les années 1930 sont très fortement marqués par les géométrisations décoratives caractéristiques du style art déco. Quant à Michael Jackson dans le clip Remember the Time, il revitalise ses mouvements chorégraphiques en s'inspirant de la "platitude" des figures égyptiennes. Miroirs de leur époque, ces objets et ces images parlent finalement plus de nous que de l'Égypte antique. Il suffit pour s'en assurer de jeter un œil aux publicités TV des années 1980 dont l'ampleur pharaonique et l'érotisme latent témoignent des moyens exubérants et de la folle insouciance caractéristique de ces années-là.

La collection comme un trésor

Si chaque objet pris individuellement ne suscite pas un intérêt incroyable (sauf pour les amateurs de kitsch), c'est son appartenance à un ensemble réfléchi et constitué depuis une cinquantaine d'années par Jean-Marcel Humbert, qui lui confère une valeur singulière. En effet, très hétéroclite, cette collection est riche d'objets de provenances variées : céramique d'Angleterre, porcelaine de Haute-Garonne, faïence de Meurthe-et-Moselle, grès d'Allemagne, résine de Taïwan… et l'exposition n'hésite pas à balayer de manière exhaustive l'ensemble des domaines dans lesquels l'égyptomanie se manifeste : le spiritisme, les tatouages, les jouets, les jeux, la mode, la presse, la littérature, le cinéma… et même la politique avec la photographie d'un graffiti réalisé en 2011 pendant le mouvement populaire qui a fait chuter le régime de Moubarak. On y voit une momie qui semble reprendre vie, métaphore du peuple qui s'éveille alors…

Égyptomania, jusquau 27 novembre 2023 au musée Dauphinois, entrée libre

 


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