L'évocation par l'image

Bâtie autour de la thématique "photographies de l'intime, archives collectives", la dixième édition du Mois de la Photo, organisée par la Maison de l'image, propose à l'Ancien musée de peinture une sélection de projets artistiques absolument galvanisante.


À peine franchie l'enceinte, déjà le regard est captivé. Les photographies de la série Hom(m)es de Gérard Staron n'arborent pourtant pas d'atours spécialement spectaculaires. Mais en mettant en perspective des photos de maisons individuelles, vues de l'extérieur, un aperçu sommaire de quelques objets peuplant leur intérieur, et un court texte présentant le parcours de vie de leur propriétaire, c'est un vaste océan de possibles et de perplexité qui surgit soudain devant nos yeux. La vie d'un individu, sa personnalité, ses errances, ses accomplissements comme ses regrets, peuvent-ils être retranscrits à travers une simple photo de son habitat ? Une interrogation quasi-philosophique à laquelle la démarche de Staron ajoute encore une couche de complexité : incidemment, on découvre ainsi que les vues d'intérieur ont été réalisées chez le photographe et que les textes, s'ils sont en partie autobiographiques… sont aussi en partie inventés.

Composée de négatifs de vieilles photographies d'époque dont le caractère "imparfait" (flou, imprécision…) ne leur a pas permis de rejoindre les albums de famille, la série In Ars Memoriae de Cécile Pomier marque, à l'inverse, par son atmosphère profondément onirique. Comme si, quelque part, leur caractère inachevé avait in fine permis de faire ressurgir, subrepticement, quelques spectres oubliés du passé. Et de nouveau, une interrogation : en figeant partiellement nos souvenirs, les photographies ne contribuent-elles pas aussi à effacer de nos mémoires ce qui n'y figure pas ?

Entre chien et loup

Prenant la forme d'une « errance nocturne sur des territoires isolés à rebours de la cadence et de l'uniformisation contemporaines », la série Ora, d'Isabelle Scotta, frappe en premier lieu par la beauté quasi-surréelle qui se dégage de ses clairs-obscurs majestueux. Mais là encore, c'est tout un univers aux frontières du fantastique qui semble convoqué, celui qui naît quand l'obscurité et le calme teintent soudain les paysages diurnes familiers d'une atmosphère mystérieuse, où quiétude et inquiétude se retrouvent progressivement entremêlées au point de devenir indissociables.

Une puissance d'évocation qu'on retrouve également dans la fabuleuse série Saisons noires de Julien Coquentin, dont les incroyables photographies peuplent la salle du fond. De retour, des décennies plus tard, sur les paysages de son enfance, le photographe a en effet réussi à capter à travers ses clichés l'infinie gamme d'émotions douces-amères que l'on ressent lorsqu'on se retrouve, au détour d'une balade sur des lieux autrefois familiers, confronté inéluctablement aux souvenirs de son enfance. Tristesse, tendresse, mystères et nostalgie émanent ainsi de ces photographies d'une force peu commune, qui réussissent la gageure de rendre universelle l'expérience pourtant intime traversée par le photographe.

Le Mois de la Photo jusqu'au dimanche 11 décembre à l'Ancien musée de peinture, entrée libre


A découvrir aussi...

S'il est impossible de résumer ici l'intégralité des autres expositions présentées dans le cadre du Mois de la Photo, certaines d'entre elles ont cependant particulièrement retenu notre attention :

- Paysannes d'Alex Vettoretti,
jusqu'au 11 décembre à l'Ancien musée de peinture

- Exercices minimaux pour un Jardin d'hiver d'Inès Molina Navea,
jusqu'au 24 décembre à la galerie Ex-Nihilo

- L'Arcane sans nom de Sabrina Biancuzzi,
jusqu'au 3 décembre au Studio Spiral

- Un nouvel ailleurs de Karim Kal,
jusqu'au 21 janvier au VOG de Fontaine

- Tiens le coût ! de Paul Bouniot,
jusqu'au 4 décembre à la galerie Showcase

- Ukraine, guerre et exil (exposition collective),
jusqu'au 4 décembre à l'ESAD


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