Des anges passent

Porte-drapeaux du psych-rock moderne, les Texans de The Black Angels s'arrêtent à Grenoble pour délivrer sur la scène de la Belle toute la force mystique de leur son. Amen.


Depuis leur formation à Austin en 2004, puis leur pic hype et critique de 2010 avec l'album Phosphene Dream, les Black Angels sont devenus les porte-étendards du psych-rock moderne. C'est quoi ça, du psych-rock moderne ? Ben du psych-rock, mais moderne. C'est-à-dire moins vieux que l'original des 60s/70s. Lequel était fort varié puisque vous pouviez y ranger pêle-mêle Grateful Dead, Love, The Doors, Hawkwind, Pink Floyd ou 13th Floor Elevators. Qui n'ont absolument aucun rapport entre eux hormis leur passion parfois trop débordante pour les substances zazous.

Le psych-rock moderne aurait mérité l'appellation de “stoner”, tant cette musique se prête justement aux escapades enfumées et lysergiques (les groupes précédemment cités étaient peu portés sur le jogging-red-bull-balisto). Un “stoner”, en américain, c'est un mec qui est stone, a priori à l'herbe. Mais bizarrement “stoner” est devenu depuis 10 ou 15 ans un nom de style musical pour barbuveurs (néologisme auto-approuvé) exclusifs de bière, peu portés sur la contemplation marijuanesque (#TrucDeHippie), jouant accordés très bas sur des guitares saturées saupoudrées de chant beuglé.

Psyché en transe

Mais revenons à nos moutons psychédéliques : du psych-rock, moderne ou pas, c'est du rock qui a pour objectif de faire valser votre… psyché. CQFD. Oui Psyché, celle-là même qui rendit jalouse Aphrodite, celle qui vit au fond de votre âme et dont Eros est tombé amoureux au lieu de lui tendre le piège initial… Il est question de sentiments, d'introspections, de sensations fortes. De quelque chose de viscéral, de quelque chose qui ne se vit que par l'expérience en situation : avec du gros son.

Vous pouvez toujours écouter The Black Angels chez vous ou sur votre smartphone, pas de problème. Mais leur musique est typiquement de celles qui se ressentent, et ne prennent leur ampleur que par la scène, que par ce son massif, puissant, qui vous emporte vers la transe. Vers le partage des énergies ancestrales les plus telluriques. Car c'est de transe dont il s'agit, celle qui détruit les notions de passé et d'avenir pour ne laisser que le ressenti d'un présent total. Alors, avoir dû attendre cinq ans entre l'album Death Song et la sortie récente de Wilderness of Mirrors… Peu importe. Vous n'avez pas écouté le dernier album ? Peu importe. Les gars ne sont pas spécialement doués pour faire du songwriting. Chaque chanson a dû prendre 5 minutes à composer, jointées en répétition. C'est juste des tourneries en boucle, des mille-feuilles qui se décomposent, se recomposent, se dilatent et se ressaisissent. Et alors ? T'as déjà entendu une chanson de Muddy Waters faite avec autre chose qu'une jam de répétition jointée ?

Devant la scène de la Belle Électrique, on en prendra plein les feuilles. Black Angels ne risque pas de mettre ses amplis “en side” (orientés de côté, hérésie post-2015) au grand désespoir des techniciens son (on leur fait un bisou). Pour citer le grand Dusty Rem : « T'as déjà pris ta douche avec un k-way ? » Non. Voilà. Tu veux du son tu prends du son.

Voix trafiquées, valses hypnotiques, plongées en échos, rythmiques tournoyantes, guitares acidulées ou plombées et basse pachydermique laissent parfois la place à des pièces plus aérées et vaporeuses. Dont un Firefly qui rend hommage aux french 60s, avec Lou Lou Ghelichkhani en invitée (calmez-vous, elle ne sera pas là le 4 février). On espère que les claviers, plus présents sur ce disque que sur aucun autre précédemment, seront aussi de la partie pour nous envoyer encore plus loin dans l'espace, avec l'aide du nouveau venu multi-instrumentiste Ramiro Verdooren, qui vient mettre un coup de jeune à l'équipe. On se souvient de I'll Be Your Mirror par The Velvet Underground, celle qui est juste avant une chanson intitulée The black angel's death song sur le fameux album à la banane. Eh bien d'après les Anges Noirs, « c'est de cela dont parlent tous les albums de Black Angels ». Psyché, moderne ou pas, la boucle est bouclée : en mode ruban de Möbius. 

The Black Angels samedi 4 février à la Belle Électrique, 24€/26€/28€


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"1 000 chemins d'oreillers" : nuit blanche