Star 80

Cinq ans après "À ta merci", Fishbach est revenue en 2022 avec un disque encore plus fou, littéralement obsédé par l'esthétique 1980's, ici poussée dans ses retranchements pour ne pas dire dans un camp retranché. À tel point que l'exercice en devient proprement fascinant. 


En 2017, Fishbach, genre de gavroche passée par le punk et poussée à Charleville-Mézières, patrie de Rimbaud, avait débarqué en mode cold-wave mâtinée de rythmiques à la Suicide et de mélodies orientées variét' 1980's avec À ta merci. Une sorte de fourre-tout sauvage, dont le single Un autre que moi indiquait une volonté de se prendre pour un autre, tous les autres, de ratisser les influences et de les entasser comme on le fait généralement sur une première œuvre. Eh bien, dans une certaine sophistication, une geste plus chiadée, Fishbach va encore plus loin sur Avec les yeux.

Ça s'ouvre Dans un fou rire, ritournelle synthétique qui aurait pu figurer sur n'importe quel album de Balavoine. On est à deux doigts de l'hommage et pourtant ce n'est jamais risible. Car il n'y a dans les citations 1980's de Fishbach aucune malice, aucun second degré enfoui dans une motte de post-modernité. Il y a la volonté de s'inscrire à plein dans cet héritage. Et de rester elle-même, car il s'agit ici de « mourir dans un fou rire », en ressuscitant au passage l'obsession de la Carolomacérienne pour la mort. Elle qui a grandi, comme elle nous le confiait en 2017, dans une famille à la Six Feet Under, comprendre : au milieu des croque-morts.

Lady Oscar en discothèque

La mort, Fishbach la croque, mais pas moins que la vie, qu'elle aborde avec De l'instinct. D'où elle s'est façonné cette voix qui figure un croisement chimérique entre Sylvie Vartan, Desireless, Rose Laurens et Catherine Ringer. Un truc qui pourrait s'avérer effectivement monstrueux chez n'importe qui d'autre. Comme ce chant volontairement affecté, presque aristocratique et totalement raccord avec ce personnage de Lady Oscar qu'elle s'est réservé pour ce disque, elle qui considère l'androgynie comme une sorte de vertu pour se trouver.

Pourquoi également se priver d'atmosphère façon discothèque bordant la départementale comme sur le dansant Masque d'or ou l'emphatique Tu es en vie – sa guitare hard-rock FM qui croise Scorpions et Modern Talking façon carambolage ? Pourquoi se priver de l'enchaîner avec un country-blues cosmique tirant sur Danny Elfman et un peu sur le chant de Noël, puis avec La Foudre, où elle se livre à l'imitation du Jim Kerr de Simple Minds première période ?

Inutile de dire qu'Avec les yeux, qu'on écarquille plus d'une fois, est un objet rigoureusement singulier, qui a au moins le mérite d'assumer plein pot ce prisme 1980's que la concurrence manipule souvent du bout des doigts juste pour faire genre. Il faut reconnaître à la jeune femme ce geste absolu et le saluer comme tel : sans concession et plein d'une folle générosité dans l'abandon, qui confine au morbide.

Fishbach + Anita Dongilli jeudi 2 mars à 20h30 à La Source (Fontaine), de 10€ à 17€


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