À l'Alpe d'Huez, prier dans la Mecque du ski

À l'Alpe d'Huez, l'église Notre-Dame des Neiges, d'inspiration corbuséenne, étouffe dans un environnement baroque façonné par les loisirs et les besoins d'hébergements. La porte franchie, la magie opère dans un remarquable triptyque vitraux/architecture/orgue. Visite guidée.


Chemin faisant vers l'Oisans et les Grandes Rousses, les églises et leur clocher qui dominent les toits des bourgs servent de point de mire dans le paysage. Pas à l'Alpe d'Huez où Notre-Dame des Neiges se fond dans un urbanisme de villégiature, cernée en partie par les sapins et un haut tas de neige souillée. Il y a bien cette grande tour circulaire blanche coiffée d'une coupole translucide mais, dépourvue de croix, il est bien difficile pour le profane d'y voir l'indice d'un lieu de culte. « On la prend parfois pour un silo à grains. Quand on voit l'église de l'extérieur on ne sait pas trop à quoi s'attendre  », confirme Frédérik Tale, guide et animateur culturel à l'Alpe d'Huez. « En revanche, l'intérieur est apprécié à l'unanimité. »

Curé businessman

On pénètre donc dans l'église mais son intérêt patrimonial ne saute pas immédiatement aux yeux. Particularité architecturale, l'accès se fait par l'arrière du chœur, qui présente peu d'attrait. Il faut parcourir la longue entrée (le narthex, censé nous disposer au recueillement) pour rejoindre la nef, à l'architecture unique et remarquable. C'est l'aboutissement d'une idée originale de Jaap Reuten, curé de l'Alpe d'Huez entre 1964 et 1992 (lire encadré). « Il a imaginé cette église comme une référence biblique à la tente qu'Abraham a plantée dans le désert », explique Frédérik Tale. La forme du toit copie donc le mouvement souple et arrondi de la toile, avec une charpente composée d'immenses poutres cintrées en lamellé-collé. Au centre, un puits de lumière en béton brut symbolise le mât, à l'entour duquel l'assemblée de fidèles est assise en rond, comme autour d'un feu de camp... « Ce curé était original. Il animait la messe du dimanche accompagné de ses deux gros chiens. À une époque, il avait installé un aquarium. Pour récolter de l'argent, il avait établi un partenariat avec la marque de bière Heineken, qui reversait à la paroisse une commission sur les bières consommées dans la station. »

Orgue-main et vitraux d'Arcabas

Dans le chœur de l'église, on trouve un autre élément précieux et unique au monde : Christophe-Raphaël, nom de l'intrigant orgue-main réalisé en 1978 par le facteur d'orgue Detlef Kleuker sur les plans de Jean Guillou, compositeur et ancien titulaire de l'orgue de Saint-Eustache à Paris. Avec ses 1500 tuyaux, dont les plus grands sont cachés dans les doigts, ses 24 jeux et sa sonorité exceptionnelle, il fait la réputation de Notre-Dame des Neiges bien au-delà des frontières françaises et attire des organistes célèbres.

Les murs circulaires de l'église sont parés d'une série de 12 vitraux disposés à hauteur d'homme entre les culées des arcs en bois. Imaginés par l'artiste Arcabas et réalisés par des maîtres verriers grenoblois (Berthier et Montfollet), ils illustrent, par des couleurs éclatantes et des compositions abstraites ou figuratives, des scènes de l'Évangile selon Saint-Marc. Ils composent un merveilleux arc de cercle de 60 mètres linéaires, laissant dans les scènes abstraites une liberté d'interprétation chère à l'artiste.

Avant de quitter l'église, visitez la crypte qui cache un tableau assez loufoque peint par l'artiste italien Nino Giuffrida. Dans un style coloré qui rappelle Chagall, il se représente en compagnie de Saint-Nicolas, du curé Jaap Reuten coiffé d'un chapeau pointu, de sa femme nue sur un cheval, du maire de l'époque et de la championne de ski locale Fabienne Serrat. Une composition mêlant sacré et profane, à l'image du chemin insolite parcouru par Notre-Dame des Neiges.

Église Notre-Dame des Neiges visite guidée tous les mercredis à 14h30, 3€/5€. Concerts de musique classique tous les jeudis à 18h15, 5€/10€


Une brève histoire

À l'occasion de la préparation des Jeux Olympiques de 1968, l'idée est venue de remplacer la petite chapelle en bois de l'Alpe d'Huez par une église plus grande. Le père local Jaap Reuten demande à Jean Le Boucher et à l'architecte Jean Marol d'imaginer une église en forme de tente. Elle sera inaugurée le 6 décembre 1969. Avant la construction du Palais des sports voisin, elle accueillera les conférences de presse du Tour de France, des événements sportifs et des défilés de mode.


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