Au centre d'art Le Magasin, trois expositions pour faire communauté

La nouvelle saison du Magasin s'ouvre avec trois expositions indépendantes qui ont, à nos yeux, en commun d'interroger la notion de communauté dans les sociétés contemporaines en proie à l'éclatement, aux traumatismes et à l'uniformisation. Tour d'horizon !


Située à proximité du hall d'accueil et de l'espace librairie, la "Galerie expérimentale" du Magasin est pensée comme un espace ouvert à des projets non conventionnels, à la croisée de la médiation et de l'intention artistique. C'est précisément avec une proposition à mi-chemin entre un salon de lecture, un atelier de broderie et un espace d'exposition que Cindy Bannani nous invite à explorer la mémoire et les résonances actuelles de la "marche des beurs" dont on fête cette année le quarantième anniversaire. Installé sur des coussins, le visiteur peut y consulter des livres ou compléter une broderie amorcée lors d'ateliers intergénérationnels, qui ont été l'occasion de convoquer les mémoires individuelles pour mieux les partager et les transmettre – ce dont se chargent également les témoignages audio diffusés en continu dans la pièce. La broderie, artisanat traditionnel, minutieux et de longue haleine, devient alors une façon de réparer les traumatismes et de restaurer le lien social.

© Lilian Presumey / PB Grenoble

 

Gentrification et désagrégation

C'est également de communauté et de lien social dont il est question dans le film de la Britannique Ufuoma Essi qui nous est présenté dans l'auditorium, transformé pour l'occasion en église. Prévoyez une petite heure pour profiter pleinement de ce film à la tonalité documentaire, dans lequel l'artiste interroge le sort des communautés noires victimes de la gentrification dans la ville de Philadelphie et dans la banlieue londonienne.

Forcées de quitter ces quartiers sous l'effet de la pression immobilière, ces populations assistent, désemparées et impuissantes, à la dissolution de leurs communautés qui sont non seulement religieuses mais également sociales et culturelles – portant en partage le traumatisme de la traite négrière. Un beau témoignage filmé en 16 mm argentique, avec toute la fragilité inhérente à ce support et les imperfections qui en font l'âme (grain, saut de film, surexposition...). Le tout accompagné d'une ambiance sonore réalisée à l'harmonium en son continu… assez captivant !

© Lilian Presumey / PB Grenoble

 

Fluide et insaisissable

Entre ces deux propositions qui explorent ce qui fait communauté, Le Magasin nous invite à découvrir une exposition collective portée par la commissaire Natasha Marie Llorens, chercheuse spécialiste du cinéma expérimental algérien et de la scène artistique algérienne. Une exposition qui réunit des artistes issus précisément de cette scène et dont la diversité des parcours et des pratiques tord le cou à toute tentative d'enfermement dans un style ou une quelconque identité figée.

Tout ici est insaisissable et revendique une permanente fluidité, à commencer par l'étonnant rideau-sculpture qui nous accueille et témoigne de l'impossibilité de réaliser une topographie du désert algérien, dont les frontières sont toujours sujettes à controverses (Lydia Ourahmane et Yuma Burgess). Plus loin, ce sont les figures peintes par Djamel Tatah qui flottent dans un espace atemporel nimbé de blanc lumineux. Fantomatiques, elles font écho aux dessins de l'illustratrice Nawel Louerrad (dont on vous invite vivement à explorer plus amplement le travail). À peine esquissés ou évanescents, ces dessins semblent porteurs des troubles qui traversent les personnages dont elle fait le portrait, et que la projection hypnotique de la vidéo d'Hakima El Djoudi située à proximité ne fait qu'amplifier. Ainsi, l'exposition joue parfois avec finesse sur la manière dont les œuvres peuvent dialoguer et s'enrichir mutuellement. On pense également à cette peinture faussement naïve du Kabyle Lounis Baouche, représentant le festin d'un ogre qui agrémente de jus de citron une cervelle humaine servie accompagnée d'une fricassée de minuscules humains et qui est exposée à proximité de l'œuvre de Louisa Babari présentant de délicates sculptures de vulves offertes comme des mignardises sur un plateau de service... On vous laisse la liberté de l'interprétation sur ces deux dernières œuvres, même si une fois de plus, à n'en pas douter, il est question de ce qui fait communauté.

© Lilian Presumey / PB Grenoble

 

En attendant Omar Gatlato  jusqu'au 15 octobre au Magasin, 0€/5€
Is my Living in Vain. Ufuoma Essi  jusqu'au 1er octobre au Magasin, 0€/5€
Les 35 et les 99 965 autres. Cindy Bannani jusqu'au 3 septembre au Magasin, 0€/5€


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