Concerts annulés, spectacles sabotés, artistes intimidés : la filière musicale réagit

Devant la hausse des menaces et tentatives d'annulation de concert et spectacles sous la pression de groupes affiliés à l'extrême droite, le Syndicat des musiques actuelles (SMA) dit stop par voie de communiqué de presse, publié le 17 avril. En parallèle, la tournée de Depardieu porte un autre goût de scandale, et suscite des protestations.


En un temps rapproché dans le courant du mois d'avril, le SMA explique avoir eu connaissance de « menaces ou de tentatives d'intimidation, visant à faire annuler quatre concerts de quatre artistes différents, dans quatre villes françaises ». L'un des quatre concerts dont fait mention le communiqué a finalement été déprogrammé : c'est celui de Bilal Hassani, icône de la communauté LGBT+.

[Communiqué] Liberté d'expression : STOP aux intimidations
Face aux menaces pesant sur la libre expression artistique, récemment exprimées à l'occasion de plusieurs concerts, les professionnels alertent les pouvoirs publicshttps://t.co/wneSzCbG2X

— Tous Pour La Musique (@TPLM_Officiel) April 18, 2023

Le chanteur queer devait jouer à guichet fermé dans l'église (désacralisée depuis 500 ans) de Saint-Pierre-Aux-Nonnains, le 6 avril dernier à Metz. C'était sans compter sur les relents d'homophobie des groupuscules Lorraine Catholique et Civitas, lesquels ont hurlé à la « profanation » en semaine Sainte… Et d'appeler à la prière devant le lieu du show, quand d'autres militants d'extrême droite projetaient de commettre un attentat contre le chanteur, comme l'a révélé Street Press à l'appui de plusieurs chaînes Telegram. Largement médiatisée, l'affaire a fait réagir la ministre de la Culture Rima Abdul Malak, qui s'est dite « choquée ». Courageux, l'ex-candidat pour la France à l'Eurovision s'est exprimé sur le plateau de C à vous : « Je me suis toujours porté le plus courageux possible. Mais là ça commençait à être inquiétant pour mon public. »

Le cas, non isolé, de Bilal Hassani

Non isolé, le cas de figure de Bilal Hassani a ouvert la voie à d'autres répliques, moins médiatisées. Un acte de sabotage a fortement perturbé la tenue d'un spectacle pour enfant qui abordait les questions de genre, le 6 avril dernier à Nantes. Un autre festival multi-culturel lillois a fait l'objet de polémiques pour la programmation d'un concert d'Iftar dans une église le 13 avril. Enfin, d'après Aurélie Hannedouche, directrice du Syndicat des musiques actuelles, un concert de rap proposé par un adhérent du SMA aurait engendré menaces et intimidations via des lettres anonymes, de la part de nationalistes extrémistes.

« Si à un moment donné, pour la tenue d'un concert, il nous faut trois ou quatre cars de policiers, on est pas rendus… », souffle la directrice, très préoccupée. « En montrant que ces concerts sont possibles, que ni les organisateurs ni les artistes ne cèdent, peut-être que ces groupuscules-là reculeront, se disant qu'ils n'ont pas la capacité à faire annuler des concerts. » Le SMA réagira médiatiquement à chaque fois qu'il se produira des faits similaires, explique-t-elle. La prochaine étape étant la piste d'une action en justice, à l'étude sur les semaines à venir. Quant au rôle à jouer des autorités publiques, la directrice est formelle : « Ces concerts sont tout à fait légaux. On demande aux collectivités, à l'État et aux forces de l'ordre de faire respecter la loi. Sans cela, ça s'apparente à de la censure. »

Grenoble, relativement à l'abri

Jusqu'ici, les intimidations et demandes d'annulation de concerts sous les pressions de groupuscules ou proches de l'extrême droit n'ont pas touché Grenoble. Comme rapporté dans nos pages dernièrement, la tentative du rappeur d'extrême droite Millésime K de se produire (sans dévoiler son identité) à Saint-Martin-le-Vinoux début mars, s'est soldée par un échec. Preuve semble-t-il, qu'un cordon sanitaire maintient l'extrême droite et ses promoteurs culturels en dehors de nos contrées. « On est très protégés de ça. On a un public ouvert et loin d'être fascisant », commente Fred Lapierre, directeur de la Belle Électrique. Si Millésime K exprime sans filtre ses convictions profondes et son engagement politique dans ses textes, il en va de même, de l'autre côté de l'échiquier, pour le rappeur havrais Médine. Seul point commun, s'il en est, entre les deux : la perméabilité assumée entre leur art, leurs combats et leur vie. Bonne chance pour ériger une séparation entre l'œuvre et l'artiste en ce qui les concerne. Habitué aux rapports de force, à la lutte pour ses idées politique, Médine nargue d'ailleurs ses détracteurs : « Un honneur d'être leur cible. »

Cantat, Depardieu : séparer l'homme de l'œuvre ?

S'il est à Grenoble un concert polémique que l'on ne peut oublier, et qui réactive le grand débat sur la séparation de l'œuvre et de l'auteur, c'est celui de Bertrand Cantat, en 2018 à la Belle Électrique. Désapprouvant le retour sur scène de la star de Noir Désir – ayant notoirement frappé plusieurs de ses compagnes et reconnu coupable du féminicide de Marie Trintignant –, le comité d'accueil qualifiait son concert d'indécent, même si l'artiste a purgé ses huit ans de prison. La séquence avait fait le tour des télévisions : d'un côté la colère des militantes féministes et le sentiment de vivre une provocation, de l'autre les soutiens, défendant le droit à la réinsertion du chanteur, affirmant qu'« il faut séparer l'homme de l'œuvre ».

Le slogan « Fin des honneurs pour les agresseurs » n'a jamais quitté les pancartes et cortèges de militantes féministes. Dans un contexte post #Metoo, la société ne semble plus tant à l'aise à l'idée que les agresseurs, aussi talentueux soient-ils, bénéficient par exemple de fonds publics. Ce qui était le cas pour Polanski, dont le film J'accuse est classé « film France Inter ».  Il y a assurément un "avant" et un "après" ces luttes féministes. Le premier effet aura probablement été de lever le voile sur la complaisance médiatique dont bénéficiaient  des personnalités mises en cause, et toujours plus connues que leurs victimes.

Jeudi 20 avril à Lille, c'est le spectacle de Gérard Depardieu qui a fait l'objet de perturbations à l'appel du collectif féministe #NousToutes. Après la prise de position du SMA. Alors que Mediapart a tout juste révélé les témoignages de treize femmes se disant victimes d'agressions sexuelles et sexistes de la part de l'acteur, qui est mis en examen pour viol depuis 2020, son spectacle Depardieu chante Barbara (sic) est programmé à Lyon le 27 mai et le 16 juin à Chambéry. Il y a fort à parier que ces représentations soient l'occasion d'opposer à nouveau les pros et antis « séparons l'homme de l'auteur ».


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