Livres enivrants

Existe-t-il un plus grand bénéfice de l'été que celui d'avoir enfin le temps de lire, à l'heure de la sieste, dans le train ou au bord de l'eau ? Aucun, assurément. Pour qu'aucun grain de sable ne vienne gâcher votre plaisir, le PB vous a concocté une petite sélection d'ouvrages qui vous emporteront dans leurs pages. De rien !


Les Ravissements

De Jan Carson (Sabine Wespieser, 2023)

C'est l'histoire d'une étrange épidémie, mortelle, qui nous en rappelle une autre et à la fois pas. Dans la petite ville où vit Hannah, au sein d'une famille de protestants rigoristes, ce mal étrange décime la classe de la petite fille. Non seulement elle survit, mais commence à voir les fantômes de ses camarades, dont elle devient l'exutoire. Pour la petite communauté, la mort des enfants est une tragédie mais peut-être moins que l'inexplicable de cette situation dans un monde que tous croyaient maîtriser (grâce à Dieu). Versant toujours dans le réalisme magique, qui faisait déjà la force des Lanceurs de feu, pour transcender les situations de la vie réelle (le conflit irlandais, la pandémie), Jan Carson réussit un nouveau coup de force difficile à lâcher. SD


Assemblage

De Natasha Brown (Grasset, 2023)

Natasha Brown est la nouvelle étoile montante de la littérature britannique – qui porte aussi facilement sa jeunesse littéraire que le rock anglais ne le fait avec ses jeunes pousses. Il n'aura fallu à la jeune femme que les 150 pages d'Assemblage pour gagner ce statut envié qui lui vaut déjà des comparaisons avec Virginia Woolf et Frantz Fanon (cocktail explosif). Ici, une jeune femme de couleur dresse le bilan de sa réussite sociale fulgurante, lors d'un raout dans sa (très) belle famille. Et se repent de ce que ça lui a coûté en compromissions, en avalage de couleuvres (souvent racistes) et en encaissement de condescendance. Le coup est aussi pour cette bourgeoisie bien-pensante et dégoulinante qui constitue la haute société britannique. Avec toutes les qualités (l'absence de concession) et défauts (l'absence de concession) d'un premier roman, Assemblage est un coup de poing. SD


Caisse 19

De Claire-Louise Bennett (Scribes, 2023)

Claire-Louise Bennett, c'est l'autre étoile montante toute désignée des lettres britanniques, avec Natasha Brown. Elle vient juste d'un peu plus loin, a déjà publié quelques livres et s'épanouit surtout dans l'art de la nouvelle. Après L'Étang, avec Caisse 19, Bennett continue d'œuvrer dans le recueil à narratrice unique, comme autant de chapitres d'un vrai-faux roman. Soit l'histoire d'une jeune femme et de ses liens tissés avec la littérature, son rapport au livre, son travail sans intérêt (à la caisse d'un supermarché) et l'étincelle littéraire qui embrase sa vie. Comme Nicholson Baker en son temps, délicieux maître du détail aux livres sans intrigues, l'autrice cultive un certain art du pas grand-chose pour tisser des livres malgré tout (ou précisément pour cela) fascinants. SD


Vie contre vie - Histoire de la souffrance, vol.2

De Tristan Garcia (Gallimard, 2023)

OK, l'été n'est pas à proprement parler la saison pour se fader des pavés de 700 pages sur le thème de la souffrance. Erreur, celui de Tristan Garcia se dévore comme un récit (des récits d'aventures). Parti dans son volume 1, Âmes, sorti il y a quatre ans, des origines de la vie sur Terre et jusqu'au bas Moyen Âge pour raconter une histoire de l'Humanité à travers ceux qui ne sont rien et sont voués à en baver de toute éternité, Garcia poursuit l'aventure en avançant dans les siècles, avec un étonnant sens de l'épopée (et de l'humour, parfois) quand on sait que ces personnages sont encore moins que des anti-héros, des infra-héros, ou quelque chose comme ça. Une fascinante mythologie de la lose qui est assurément l'un des page-turners de l'été. SD


Moby Dick

De Herman Melville (GF Flammarion)

Tout le monde connaît l'histoire de l'impétueux Capitaine Achab, commandant d'un baleinier déterminé à se venger de Moby Dick, le cachalot qui lui a emporté la jambe. Tout le monde, même, en connaît la fin tragique. Mais peu importe. Les chefs-d'œuvre n'ont que faire des péripéties et des rebondissements. Ouvrir Moby Dick, c'est entrer dans une somme de littératures (au pluriel, oui), où se mélangent roman d'aventure, traité de science naturelle (vous saurez absolument tout sur les baleines), essai philosophique, réflexions théologiques ou politiques… Melville veut tout contenir dans son livre, entreprise aussi périlleuse et téméraire que de chercher à vaincre ces monstres gracieux que sont les grands cachalots. De tous les classiques, Moby Dick est certainement l'un des plus surprenants. HV


Bite-Fighter

D'Olivier Texier (Les Requins Marteaux)

Imaginez un univers post-apocalyptique où la population mondiale, réduite à une dizaine de millions d'individus, s'est reconvertie dans une agriculture locale respectueuse de l'environnement, promeut des valeurs progressistes, et déploie son agressivité au cours de violents tournois d'arts martiaux où tous les coups sont permis. Rajoutez une intrigue de soap opera à base d'amours contrariées, de coups bas et de trahisons diverses. Assaisonnez le tout… d'une bonne dose de pornographie gay, pas piquée des hannetons. C'est peu ou prou la proposition du génial Olivier Texier dans sa bande-dessinée Bite-Fighter, récemment réimprimée dans la fameuse collection BD Cul des Requins Marteaux. Si l'idée de grands gaillard virils amateurs de bastons sanglantes, de permaculture et de réconciliations crapuleuses sur l'oreiller vous fait sourire, aucun doute, Bite-Fighter est fait pour vous ! 


Rémina

De Junji Ito (Delcourt)

C'est un cadeau empoisonné qu'offre le professeur en astronomie Oguro à sa fille unique Rémina, lorsqu'il décide de donner son prénom à une mystérieuse planète apparue soudainement. Au fur et à mesure qu'elle s'approche de la terre, cette dernière se met en effet à absorber toutes les autres planètes à proximité, déclenchant une véritable atmosphère de panique à l'échelle mondiale, qui va trouver en la jeune adolescente éponyme le bouc-émissaire idéal… Célébré par une exposition d'ampleur au dernier festival d'Angoulême, l'auteur de manga Junji Ito signe avec Rémina un véritable trip hallucinatoire et cauchemardesque, qui pousse tous les curseurs à fond dans une accélération sans fin. Porté par un dessin somptueux et une imagination délirante, ce récit d'horreur cosmique transcende ainsi son modeste scénario de série B pour offrir au lecteur une grande œuvre malade, tous genres confondus.


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