Lionel Catelan : « Depuis la découverte du béton, les bâtiments s'apparentent quasiment à de la sculpture »

Paru le 15 septembre, "Grenoble, un modernisme olympique", de Lionel Catelan est un projet documentaire et photographique mettant en lumière les réalisations architecturales emblématiques édifiées à l'occasion des JO de 1968. L'auteur sera à la librairie Le Square le 21 septembre.


D'où vient votre intérêt pour l'image, et pour l'architecture moderne en particulier  ?

Lionel Catelan : J'ai beaucoup d'intérêt pour les vieilles photos, les images ou documents d'archives. Quand on est graphiste, on a un rapport un peu particulier avec tout ça. Pour mon diplôme, aux Beaux-Arts de Valence, j'ai commencé à travailler sur des questions de paysage, à savoir comment nos regards construisent des paysages. Ensuite, est venue une interrogation sur comment perçoit-on une ville, lorsque la quotidienneté, la familiarité avec les bâtiments s'est installée. Je me suis intéressé à l'architecture moderne, dans la mesure où elle entretient un rapport à l'image très fort. Depuis la découverte du béton notamment, les bâtiments sont construits avec une esthétique et un travail qui s'apparentent quasiment à la sculpture. La façon dont ils sont construits, laisse à penser qu'ils l'ont été pour générer de l'image. Ça incite à faire de la photo, quasiment.

Quel est le sens de votre démarche ?

Moi ce qui m'intéresse, c'est qu'on puisse comprendre un peu mieux la ville, au sens large. Par le travail de documentation que j'ai mené, j'ai cherché à comprendre l'idée première des bâtiments. À relever, en l'occurrence pour cette époque-là, les idées assez utopistes que portait leur architecture.

Qu'avez-vous appris globalement de cette période olympique de 1968 ?

Que les Jeux olympiques à Grenoble ont dès le départ servi de prétexte pour construire massivement. Mais, surtout, qu'ils ont aussi servi de prétexte pour faire image de la modernité. Les JO ont un enjeu médiatique très fort. Ces Jeux d'hiver français ont pour spécificité d'être les premiers à être diffusés à la télévision et en couleur. L'enveloppe énorme qui leur a été allouée devait servir à construire un maximum de choses. C'est d'ailleurs pourquoi de nombreux bâtiments, sortis du sol à cette époque, n'ont pas de rapport direct avec les épreuves sportives.

Vous voulez dire qu'il y avait beaucoup plus d'enjeux que les seuls enjeux sportifs ?

L'exemple des tours de l'Île Verte est un bon exemple de cela. On a pensé au sport lors de cette période, certes, mais il y avait bien plus d'enjeux politiques. N'oublions pas tout de même que Pompidou était au pouvoir, et tout ce contexte juste avant mai 68 et post-guerre d'Algérie.

 Que recherchiez-vous en réalisant ce projet photographique documentaire ?

Je cherchais des traces du bâtiment d'il y a soixante ans. Si on prend la cité universitaire, lorsque j'y suis allé, il y avait encore toute la signalétique de l'époque, encore des intitulés "Scandinavie", "Suède", etc. J'ai certes effectué beaucoup de recherches pour ce projet mais j'avais surtout envie d'embrasser le regard d'un promeneur. La position du flâneur, c'est quand même celle du plus grand nombre, quand nous ne sommes pas au fait du détail historique autour de ces constructions ! D'ailleurs, ce qui m'enthousiasme le plus, c'est de permettre à des Grenoblois de redécouvrir ces lieux familiers, qu'ils ont l'habitude de fréquenter et dont ils ignorent le passé. Toute ma démarche consiste à inviter à regarder des choses déjà là.

Paris 2024, disons que c'est une catastrophe… Je pense aux expropriations de certaines populations, d'étudiants même, qui vont probablement être relogés plus loin en périphérie, là où les pauvres ne gênent pas.

Y a-t-il encore autre chose qui, dans l'évolution des bâtiments modernistes, un demi-siècle plus tard, attire votre attention ?

Je dirais l'absorption de projets modernistes par la politique. Par exemple, dans les années 60, l'un des préceptes modernistes, c'est la circulation piétonne. D'où l'aspect très ouvert, lorsqu'on regarde aux pieds des bâtiments de cette époque-là. Or, aujourd'hui que reste-t-il ? Des tonnes de barrières ainsi que des haies restreignent la circulation et l'accès à ces espaces. Cela va totalement à l'encontre de ce en quoi croyaient les architectes, leur pensée sociale et la volonté qu'ils mettaient à ce que les gens se rencontrent et s'approprient leurs bâtiments.

Vous écrivez dans votre préface : « Grenoble 1968 reste un projet politiquement acceptable à l'égard de l'évolution récente des candidatures pour l'accueil des Jeux Olympiques ». Que voulez-vous dire  ?

On voit qu'à Grenoble, la reconversion des constructions olympiques a été pensée, ou du moins qu'elle s'est imposée avec le temps. En revanche, j'ai une expression dans le livre, je parle d'« éléphant blanc » qui s'applique notamment au tremplin de saut à ski de Saint-Nizier, laissé à l'abandon. Quand je parle de « projet politiquement acceptable », j'entends que la candidature de Grenoble était équilibrée entre de réels besoins de développement urbain et l'intérêt médiatique projeté sur ces Jeux. Je regrette cette bascule dans les années 90-2000, où les Jeux olympiques ne répondent plus à de réels besoins, mais n'ont que fonction d'image.

Prenez Albertville, 1992. On voit que l'infrastructure a été gonflée à bloc au point d'avoir des choses surdimensionnées pour la taille de la ville. Lorsque ça dégonfle, les années qui suivent, l'afflux touristique ne suit pas forcément et on en arrive obligatoirement à des états de ruine. Excepté le tremplin abandonné de Saint-Nizier, Grenoble était, je trouve, une candidature équilibrée, qui n'allait pas dans cette logique de surbesoin.

Un mot sur les Jeux de Paris 2024 ?

Paris, disons que c'est une catastrophe… Je pense aux expropriations de certaines populations, d'étudiants même, qui vont probablement être relogés plus loin en périphérie, là où les pauvres ne gênent pas. Et après ça, la Ville base tout son plan de communication sur l'aspect bas carbone de ses constructions…

Soirée architecture à Grenoble jeudi 21 septembre à 19h à la librairie Le Square, avec Lionel Catelan pour Grenoble, Un modernisme olympique (Building Books), Philippe Grandvoinnet, Bénédicte Chaljub, Hubert Lempereur pour L'architecture à Grenoble, 1880-1990, et Gilles Novarina pour Histoire de l'urbanisme (Le Moniteur). Entrée libre


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