Une araignée au plafond

"Spider-man 3" prolonge une série qui détonne et étonne dans le paysage des blockbusters hollywoodiens par son ambitieux mélange des genres, ses surprenantes visées théoriques et la personnalité de son auteur, Sam Raimi. Christophe Chabert

La redécouverte par Hollywood des comics américains n’aura pas fait que des miracles. Si Bryan Singer a réalisé deux grands films avec ses X-Men, il a carrément planté son Superman returns, pendant que le tâcheron Brett Ratner massacrait dans le même temps la franchise avec un X-Men 3 honteux. Pour un Guillermo del Toro s’accomplissant pleinement en adaptant Blade puis Hellboy, des usurpateurs sans talent faisaient n’importe quoi avec les héros emblématiques de Marvel Comics (Elektra, Punisher, Daredevil, Ghost Rider…). Et on ne va pas revenir sur 300, dont les commentaires élogieux de certains geeks sur les forums français éclairent mieux que les analyses de Jean-Michel Apathie le score actuel de Nicolas Sarkozy. Pierre angulaire de cette mode durable mais guère fructueuse et parfois douteuse, la série Spider-man a tout de suite fait la différence, cas à part et cas d’école en même temps. Son réalisateur Sam Raimi revisite l’esprit des comics depuis son premier film, le fameux Evil Dead. Cinéaste du cadre tordu, du mouvement de caméra impossible, de l’image-icône et de la plasticité des corps, il marie cette influence initiale avec une cinéphilie gourmande qui l’a poussée à aborder tous les genres : film noir (Crimewave), western (Mort ou vif), héroïc fantasy (L’Armée des ténèbres) et enfin cinéma de super-héros avec le surprenant Dark Man, matrice dans laquelle on trouve déjà tous les ingrédients des trois Spider-man. Pourtant, Raimi, avant de se plonger dans cette ambitieuse série, avait connu une période “sérieuse”, trois films importants qui se démarquaient du reste de son œuvre par leur sobriété et le classicisme revendiqué de leur mise en scène : Un plan simple, Intuitions et le méconnu mélodrame de base-ball Pour l’amour du jeu lui ont permis d’aborder ses personnages avec un sens sincère de la nuance psychologique et une mélancolie nouvelle. Une forme de maturité pour un cinéaste qui revendiquait jusque-là son éternelle adolescence.

Peter Doinel

Spider-man, c’est la rencontre entre toutes les facettes de Sam Raimi ; en cela, cette série de blockbusters s’avère aussi un projet très personnel et particulièrement passionnant. Dès le premier volet, il s’agit autant de raconter la transformation de Peter Parker en héros aux pouvoirs surhumains que de montrer une mutation beaucoup plus prosaïque : celle d’un enfant en adolescent, puberté compliquée où les premiers émois amoureux et sexuels sont des épreuves à franchir, et où il faut avant tout faire le deuil du père. Très osé, ce sous-texte va fournir ensuite la matière romanesque et feuilletonesque de la série, et lui assurer sa singularité. Dans Spider-man 2, l’adolescent doit faire face à son entrée dans la vie active en prenant ses responsabilités. Dans ce nouveau volet, l’embourgeoisement qui le guette et la griserie qui s’empare de lui devant son succès renvoient à l’égoïsme naissant d’un jeune adulte se coupant progressivement des problèmes du monde. Raimi a réussi à faire de Peter Parker une sorte d’Antoine Doinel, passant des 400 coups (de fluide arachnide) aux Baisers volés (à la jolie Mary-Jane), pour mieux intégrer un Domicile conjugal finalement trop étroit (d’où la tentation qui s’empare de lui au contact de la pimbêche blonde Gwen Stacy)… D’un point de vue plus contemporain, la trilogie Spider-man est peut-être le seul équivalent cinématographique aux machines narratives démentes inventées depuis 10 ans par la télé américaine : un grand roman où, d’une saison à l’autre, les caractères s’affinent, les enjeux s’assombrissent, la gravité s’incruste dans la légèreté virevoltante et l’action trépidante.

Dé-figuration

Mais Spider-man est aussi étonnant dans son télescopage de formes, de styles, de genres et dans sa constante recherche figurative. Raimi tente non pas une alchimie entre blockbuster d’action, comédie pure et mélodrame amoureux, mais une pure et simple juxtaposition. Dans le troisième épisode, on peut en un clin d’œil passer d’une querelle sentimentale à une homérique séquence de baston aérienne, d’une émouvante scène de retrouvailles entre un évadé de prison et sa femme dépressive (touchant retour à l’écran de la sublime Theresa Russell) à une poursuite avec la police qui s’achève dans un accélérateur de particules. À l’écran, non seulement les corps sont malléables, souples, transformables à l’infini, mais le récit aussi est soumis aux mêmes lois, grand élastique que le cinéaste tire dans tous les sens avant d’en faire des nœuds improbables qu’il passera tout le film à démêler. Plus la saga avance, plus ce jeu avec les limites du représentable devient évident : la série a inventé ses propres codes, ce qui lui permet aujourd’hui d’éluder systématiquement les transformations de Parker en Spider-man, au point que celles-ci s’effectuent maintenant dans un simple raccord de plan, contre toute logique. La chair elle-même ne cesse de se marier avec d’autres éléments, eau, sable, plastique liquide, métal… Les corps traversent sans douleur les décors, mais en conservent toutefois des traces, masques déchirés, costumes en lambeaux, visages défigurés, brûlés, dévastés. Aussi iconoclaste qu’iconographe, Raimi a saisi l’essence de la bande dessinée, où la surface est reine, assumant seule la profondeur des enjeux narratifs. On l’aura compris : Spider-man, ce n’est pas qu’un grand tour de manège doublé d’un formidable ménage des sentiments, c’est aussi un traité théorique inépuisable et résolument contemporain.

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