Judgez-moi coupable

Filmo / En dehors de tous les circuits balisés du divertissement à l’américaine, la réussite artistique, critique et publique de Mike Judge représente une saine alternative à la tragique uniformisation des esprits. FC

Pour ses employeurs, Mike Judge est une énigme, un bug inexplicable de la matrice commerciale. Le succès remporté par ses œuvres dans l’animation dépasse l’entendement, et l’impose comme une figure artistique majeure - et ardue à contrôler. Depuis que l’engouement pour Beavis & Butt-Head puis King of The Hill l’a mis dans les petits papiers de MTV et de la Fox, notre homme s’est retiré dans sa ville de prédilection, Austin au Texas, afin de fuir les pressions incessantes des cols blancs. Il supervise l’animation et enregistre les voix de ses shows du fond de sa retraite, se garantissant du même coup l’indépendance dont il ne peut se passer. Lorsque les sollicitations du grand écran se firent trop insistantes, il consentit à l’exercice en se battant systématiquement contre les demandes souvent absurdes des studios. Rage contre la machineAinsi, pour son premier long adapté de ses courts modules pour MTV (Beavis & Butt-Head se font l’Amérique), Judge a par exemple imposé le fait de réaliser un authentique film d’animation, et non l’adaptation live voulue par David Geffen (producteur du film), qui aurait totalement dénaturé l’objet. Il a ensuite bataillé pour conserver le ton graveleux, bête et méchant de sa création d’origine, toujours contre l’avis de Geffen qui souhaitait alors toucher le plus large public possible. Le film sort finalement dans la version défendue par Mike Judge, et remporte un petit succès public et critique. Quand la Fox le sollicite à son tour, le réalisateur décide d’adapter en format long l’un de ses premiers courts d’animation, Office Space (la scène décrite dans le court se retrouvera d’ailleurs in extenso dans le film). Mais là encore, l’incompréhension rencontrée par le projet prend le dessus sur les potentielles qualités d’un film certes inégal, mais porteur d’un ton unique et salvateur. Office Space (traduit stupidement par 35 heures c’est déjà trop pour son exploitation française en DVD) est une incitation à l’oisiveté, à la rébellion contre l’aliénation d’un système salarial déshumanisé. De son propre aveu, la Fox ne comprend pas le film et en saborde la sortie en salles. Son incroyable succès en DVD poussera néanmoins le studio à confier au metteur en scène les rênes d’une autre production, Idiocracy. On interprète les problèmes de production et de distribution de ce dernier comme une sorte de revanche mesquine sur un artiste qui a toujours refusé de se plier aux diktats en vigueur ; mais ça reste une pure interprétation, bien sûr.

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