"À bord du Darjeeling Limited" : Wes Anderson l'humaniste

Après "La Vie aquatique", Wes Anderson raffine encore son art de la comédie pince-sans-rire avec un film maîtrisé, libre et touchant sous influence manifeste de la Nouvelle Vague.

Surprise ! En première partie d’À bord du Darjeeling Limited, vous verrez un petit court-métrage intitulé Hôtel Chevalier, aussi réalisé par Wes Anderson. Soit une chambre d’hôtel parisien où un homme mutique et maniaque (Jason Schwartzman, qui n’avait pas vu son talent comique si bien servi depuis Rushmore du même Anderson) attend une femme (Natalie Portman, simplement sublime).

On peut considérer ce film bref et éclatant comme le sommet provisoire de la carrière de Wes Anderson : le décor se prête à son jeu favori, le plan de coupe latéral où l’on observe l’action comme si on regardait une maison de poupée ou une scène de théâtre. L’utilisation répétée d’un tube ringard, les déplacements chorégraphiés des acteurs, le recours au ralenti (a-t-on déjà écrit que les ralentis de Wes Anderson sont les plus beaux du cinéma mondial ?) et la mélancolie érotique qui se dégage de l’ensemble donnent à cette miniature son charme irrésistible.

Mother India

Cet "avant programme" n’est pas sans rapport avec le "grand" film qui va suivre. Parce que le personnage principal du court devient un des trois héros du long mais surtout car Hôtel Chevalier respire à plein nez l’influence de la Nouvelle Vague française, influence qui se retrouve en filigrane dans Darjeeling limited, où la majeure partie de l’action se déroule un train sillonnant l’Inde.

On y voit trois frères en bisbille : l’un enrubanné après un étrange accident (Owen Wilson), l’autre parano (Adrien Brody, qui réussit parfaitement son entrée dans le cinéma d’Anderson) et le dernier se rêvant en dragueur de wagon-lit (Schwartzman, toujours génial). Le film, sur les rails de leur voyage spirituel, avance selon une liberté de ton qui se marie sans difficulté avec une mise en scène précise et maîtrisée. Les névroses des personnages donnent lieu à des ballets de corps déglingués et des gags pince-sans-rire impeccablement dosés.

Peu à peu, Anderson cherche une harmonie dans cette suite de dissonances et de dissensions ; ces êtres engoncés dans le ressentiment, prisonniers de l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et de l’idée qu’ils se font des autres, vont devoir sortir de leur cabine, laisser leurs valises derrière eux, aller vers l’ailleurs tout en retrouvant leurs racines (un flashback surprenant à New York, une magnifique rencontre avec Angelica Huston).

Anderson accompagne par sa mise en scène le trajet de ses personnages jusqu’à cette scène sublime où ils mettront leur vie en danger pour sauver celle d’un enfant indien, séquence réaliste dans une œuvre à la théâtralité revendiquée. Sans renouveler sa surface, brillante, ni ses thèmes (le deuil, la filiation, la fratrie…), Anderson apporte ainsi quelque chose de neuf à son cinéma : un surcroît d’humanisme et de profondeur.

A bord du Darjeeling Limited. De Wes Anderson (EU, 1h47) avec Owen Wilson, Adrien Brody, Jason Schwartzman…

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Jeudi 5 avril 2018 Le cinéaste Wes Anderson renoue avec le stop motion pour une fable extrême-orientale contemporaine de son cru, où il se diversifie en intégrant de nouveaux référentiels, sans renoncer à son originalité stylistique ni à sa singularité visuelle. Ces...
Mardi 7 février 2017 Que faire lorsqu'on est en couple et cinéphile — mais aussi quand on est cinéphile et en quête de l’âme sœur ? Se rendre dans une salle obscure, pardi ! (...)
Mardi 25 février 2014 Avec "The Grand Budapest Hotel", Wes Anderson transporte son cinéma dans l’Europe des années 30, pour un hommage à Stefan Zweig déguisé en comédie euphorique. Un chef-d’œuvre génialement orchestré, aussi allègre qu’empreint d’une sourde inquiétude.
Mardi 25 février 2014 Dans la reproduction de la chambre d’Antoine Lumière à Lyon (qui pourrait être le décor d’un de ses films) et à l'occasion de la sortie de "The Grand Budapest Hotel", rencontre avec Wes Anderson à propos de Stefan Zweig, de sa famille d’acteurs, de...
Lundi 21 mai 2012 Poussant son art si singulier de la mise en scène jusqu'à des sommets de raffinement stylistique, Wes Anderson ose aussi envoyer encore plus loin son ambition d'auteur, en peignant à hauteur d'enfant le sentiment tellurique de l'élan amoureux.
Jeudi 11 février 2010 Fable pour enfants et conte pour adultes, divertissement majuscule et immense film d’auteur, leçon de vie et leçon de cinéma : "Fantastic Mr. Fox" de Wes Anderson est une œuvre majeure.

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X