À propos d'Elly

Le cinéma iranien n’en finit plus de surprendre : tendue comme un thriller, cette chronique d’une disparition signée Asghar Farhadi frappe par sa liberté de ton et de forme.

Il y a quelques semaines ressortait le très beau Picnic at hanging rock de Peter Weir. Le souvenir du film revient en mémoire à la vision d’À propos d’Elly, tant tous deux se structurent autour d’un black out qui est aussi un point de bascule. Chez Weir, des adolescentes disparaissaient dans des montagnes menaçantes lors d’une ballade scolaire un jour de Saint-Valentin ; dans le film d’Asghar Farhadi, c’est une jeune femme, Elly, qui va s’évaporer lors d’un week-end en bord de mer avec des étudiants en droit.

Plus que les raisons de ce «départ» (accident ? Fugue ? Enlèvement ?), ce sont ses conséquences chez ceux qui restent qui intéressent les deux cinéastes : comment un groupe doit affronter la brutale révélation de ce qui le fonde, lâchetés et réflexes de classe inclus.

Ivre de liberté

Dans le film, Elly est belle et, pour ceux qui l’ont invitée à cette virée festive, libre. Parfaite donc pour la caser avec Ahmad, qui rentre d’Allemagne où il vient de divorcer. La peinture de cette jeunesse insouciante, loin de Téhéran, s’épanouissant entre blagues machistes, jeux de vacances et repas arrosés, est déjà en soi une surprise : cette vie qui circule joyeusement à l’écart d’un pouvoir occulté, fait son petit effet dans l’esprit d’un spectateur encore marqué par les images des révoltes post-électorales en Iran.

Mais les choses ne sont pas si simples, dans la réalité comme dans le film. Car le système patriarcal et les conventions sociales, même en mode détente sympa, rodent dans les interstices des séquences. Elly garde une mélancolie et un mystère qui intriguent et dérangent les petits-bourgeois qui l’entourent, et elle en souffre jusqu’à l’asphyxie. Farhadi lui offre une magnifique porte de sortie : le temps de deux scènes d’une grande puissance cinématographique, elle va donc s’évanouir dans un rire fou et exalté, décuplé par l’ivresse d’une caméra accompagnant son envolée. Le drame qui suit est comme le contrechamp de cette poussée de fièvre, subtile manière de détourner le regard du spectateur pour mieux lui renvoyer ensuite en pleine figure sa négligence.

Le reste du film se déroule comme un thriller à la mise en scène tendue (avec, il est vrai, une dizaine de minutes de trop), où les explications entraînent des questions complexes où chacun doit, à un moment ou un autre, choisir entre la vérité cruelle et le mensonge arrangeant. À propos d’Elly est aussi passionnant que ses personnages : il se refuse aux solutions faciles et préfère, courageusement, arpenter des territoires autrement plus mouvants et inquiétants.

À propos d’Elly
D’Asghar Farhadi (Iran, 1h56) avec Golshifteh Farahani, Taraneh Alidousti…

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