Il Maestro

Changement de cap pour les 5e Rencontres du Cinéma Italien de Grenoble : à l’occasion du 90e anniversaire de la naissance de Federico Fellini, l’association Dolce Cinema nous propose une rétrospective foisonnante de son œuvre. FC

Jusqu’à présent, ce festival exposait une programmation en forme de panorama de la cinématographie italienne récente. Mais comme on l’évoquait il y a deux semaines en off avec Sabina Guzzanti, réalisatrice de l’excellent documentaire Draquila (n’écoutez pas les mauvaises langues qui prétendent qu’il s’agit d’une vision caricaturale et foncez le voir), le cinéma italien n’est pas particulièrement à la fête en ce moment. Rappelons qu’à l’instar de la France, le système de production italien repose majoritairement sur les financements venus des chaînes de télévision, dont les plus importantes se trouvent sous la férule du très peu cinéphile Silvio Berlusconi. «Pour lui, tous les artistes sont de gauche, et donc contre lui. Alors que si l'on regarde les productions de ces dernières années, très peu de films se montrent critiques ou parlent ouvertement de politique» nous disait la réalisatrice. Et de fait, après des coupes budgétaires drastiques opérées en 2005 dans les deniers de l’industrie cinématographique italienne, cette dernière va sûrement voir les crédits d’impôts indispensables à sa survie non renouvelés par le conseil des ministres. Dans ce contexte morose, même le plébiscite public de Benvenuti al Sud (remake de Bienvenue chez les Ch’tis, sortie prévue chez nous le 24 novembre) ne rassure pas grand-monde : déjà, il s’agit d’un cas isolé, et d’autre part, le film serait caractéristique des prises de risque minimales des cinéastes et producteurs italiens, en quête de sujets fédérateurs et surtout pas trop dérangeants pour le Cavaliere ou qui que ce soit. On n’en tiendra donc pas trop rigueur à l’équipe de Dolce Cinema, qui dans les quatre précédentes éditions nous a tout de même fait (re)découvrir bon nombre de perles et de tentatives de cinoche différentes voire frondeuses, et qui se frotte cette année à une entreprise tout aussi digne de louanges. Toute l’Italie dans des boîtes (de pellicule)
Les membres de l’association ont en effet abattu un boulot rocambolesque pour récupérer la quasi intégralité des long-métrages (manque notamment à l’appel son ultime film, La Voce della luna) de celui qu’on appelait Le Maestro, dans les meilleures copies possibles. L’occasion de savourer, sur grand écran s’il vous plaît, des chefs-d’œuvre de la trempe de La Strada (notre préféré), La dolce vita, of course, Huit et demi (une excellente façon de renvoyer le Rob Marshall de Nine – hommage aussi ronflant que vain - à son bac à sable) ou l’autobiographique Amarcord. Mais aussi, via multiples rencontres, discussions d’après séances, trois documentaires et trois expositions, de légitimer et étudier l’importance du cinéaste dans le patrimoine cinématographique mondial. On relève souvent dans l’œuvre de Fellini son goût prononcé pour le baroque, qui se traduisait visuellement par des plans à la richesse picturale insensée, des mouvements de caméra amples ou le lustre de sa direction artistique – il ne s’agit pourtant que d’un des multiples aspects de sa filmographie, qui atteindra d’ailleurs des sommets pas toujours très heureux dans son Casanova à la poésie un rien bancale (que les puristes me pardonnent, ou du moins ne me lynchent pas en place publique). Mais bon, c’est aussi ce qui rend son cinéma immédiatement abordable, de par une immixtion récurrente entre “réalité“ et imaginaire débridé… On peut également évoquer sa passion des femmes en général et des actrices en particulier : il suffit de voir avec quelle grâce et quelle sensibilité il filme son épouse de l’époque, Giulietta Masina, dans La Strada, Il Bidone ou Les Nuits de Cabiria – tout en lui confiant des rôles extrêmement éprouvants – pour se rendre compte de cette caractéristique et surtout de sa pertinence dans sa geste artistique. Fellini fut en outre un portraitiste affûté de la société italienne, en marge de ces deux courants fondamentaux que furent le néo-réalisme (dont il emprunte cependant les codes dans ses premières œuvres, mais dont il s’affranchira pour laisser libre cours à sa fantaisie débordante) et la comédie rentre-dedans des années 60-70, un témoin distancié mais jamais dupe des évolutions de la société : derrière la frivolité se dessine toujours l’amertume, derrière les extravagances de ses personnages pointent des fêlures souvent magnifiques. Pour une approche sincère et juste de l’œuvre du Maestro, outre la vision impérative des films projetés pendant les Rencontres, on vous conseille la vision du documentaire de Damian Pettigrew Fellini, je suis un grand menteur, constitué d’interviews au long cours du réalisateur quelques années avant sa mort, et d’interventions de ses proches collaborateurs. Le film fait partie de la programmation : la vie, comme ces Rencontres, est décidément bien faite. 5e Rencontres du Cinéma Italien de Grenoble
Jusqu’au 10 décembre, lieux divers.

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