L'Exercice de l'État

Avec "L’Exercice de l’État", Pierre Schoeller réussit à donner de la chair et un rythme à l’action politique, dans un film vif et rapide, magistralement mis en scène et interprété. Christophe Chabert

L’Exercice de l’État pose cette question : c’est quoi, aujourd’hui en France, faire de la politique ? Tel un philosophe étudiant précisément l’intitulé de la question, Pierre Schoeller ne s’intéresse d’abord qu’au «faire» ; cela implique un environnement, un rythme, des circulations, des gestes et des outils que le film, avec une précision tout à fait inédite dans le cinéma français, s’applique à rendre immédiatement crédibles.

Un exemple au début : quand le ministre des transports Bernard Saint-Jean monte dans sa voiture de fonction et y retrouve son attachée de communication, celle-ci lui lit les titres de la presse matinale en faisant défiler les Unes sur son IPad. Il n’est pas inutile de préciser que ce contact avec le monde, doublement médiatisé (l’écran tactile et la dir’ com’ exaltée), suit une séquence qui montrait exactement l’inverse : le Ministre, seul et solennel, dans une chapelle ardente où ont été regroupées les victimes d’un dramatique accident d’autocar. Levé du lit après un cauchemar ô combien signifiant (des hommes masqués installent un bureau ministériel pour assister à une cérémonie où une femme nue — la République ? se fera avalée par un énorme crocodile — la politique politicienne ?), Saint-Jean se rend sur les lieux en un battement de plan, et cela dit à quel point tout dans sa pratique est affaire de réactivité et de disponibilité. Sachant que cette capacité à être là où il faut quand il le faut est aussi une question de survie politique : à la moindre faille, au premier faux-pas, trente personnes attendent pour prendre sa place.

Excès de vitesse

Schoeller, avec une aisance remarquable, donne donc une forme à cet «exercice», mais aussi un visage, celui d’Olivier Gourmet, acteur incroyable qu’on a beaucoup vu ces dernières années sur les écrans et qui arrive ici encore à surprendre. Le choix est judicieux : Michel Saint-Jean, ministre qu’on imagine de centre-droit dans un gouvernement de droite, a tout du self-made-man transformé par sa fonction en animal politique habile mais attaché à ses convictions. Un homme ordinaire que les circonstances métamorphosent en figure publique, incarnation de la puissance de l’État.

Le film le fait naviguer entre deux eaux : celles du microcosme politique d’abord, avec un chef de cabinet dévoué, prêt à tout pour préserver la carrière de son ami (Michel Blanc, dans un emploi inédit qu’il assume avec le talent qu’on lui connaît), mais aussi une ronde de ministres, de parlementaires et même le Président (Schoeller n’a pas besoin de singer le réel façon La Conquête pour rendre sa représentation crédible) ; et celles du peuple, incarné par un chômeur taciturne qu’on engage pour servir de chauffeur au ministre. Magnifique personnage, complexe et passionnant, qui ramène Saint-Jean à sa dimension la plus humaine (une formidable scène de beuverie, moment de comédie dans un film qui ne s’interdit aucune rupture de ton), mais qui trouve aussi dans ce job providentiel une certaine fierté, grisé à son tour par la vitesse du pouvoir et ses privilèges.

Un peu à la manière des Dardenne ou de Jacques Audiard, Schoeller ne laisse jamais le discours déborder sur l’action ; celui-ci doit au contraire surgir de l’urgence dans laquelle est plongé le récit. L’Exercice de l’État a le parfum du thriller, notamment quand au cœur du film Saint-Jean se retrouve pris au piège d’une réforme dont il ne veut pas (la privatisation des gares), mais dont il a besoin pour poursuivre son ascension. Il suffit pour le cinéaste de suivre les vicissitudes, tergiversations et revers du personnage pour que le spectateur ressente ce qu’est la politique française contemporaine : un compromis nécessaire entre des idéaux et une ambition.

Sortie de route

Film d’action, disait-on. Il faut, sans trop en révéler, signaler que dans son dernier tiers, comme un cliffhanger brutal et inattendu, Schoeller pousse son récit jusqu’à une magistrale et littérale sortie de route. Deux choses frappent dans cette séquence paroxystique : sa logique interne (à force d’accélérer, le crash est inévitable), mais surtout la puissance hallucinante de la réalisation. Autrement dit, l’apparition d’un cinéaste français qui, dès son deuxième film, s’impose comme un regard singulier qui n’a pas peur de concilier point de vue critique et spectacle cinématographique, qui arrive à être à la fois entièrement dans la mise en scène et toujours spectateur de son propre travail. Comme Saint-Jean, Schoeller est dans le faire plus que dans la théorie, et L’Exercice de l’État ouvre des perspectives nouvelles pour que le cinéma d’ici se saisisse avec pertinence de son actualité la plus brûlante.

 

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