Les Adieux à la Reine

À la fois crépuscule de la monarchie française et triangle amoureux entre la Reine, sa maîtresse et sa liseuse, le nouveau film de Benoît Jacquot réussit à secouer l’académisme qui le guette en se rapprochant au plus près du désir de ses personnages. Christophe Chabert

Est-ce un hasard ou notre esprit obnubilé par la campagne électorale actuelle ? Toujours est-il que Les Adieux à la Reine trouve d’étranges échos avec l’époque contemporaine. Benoît Jacquot y raconte une fin de règne vieille de deux siècles, celle de Marie-Antoinette et Louis XVI, mais aussi de leurs courtisans errant comme des spectres dans les couloirs de Versailles, en proie à l’effroi de perdre leurs privilèges, sinon leur vie. C’est une des réussites du film : sa capacité à matérialiser à l’écran un microcosme qui a depuis longtemps oublié que le reste du monde gronde juste derrière ses hauts murs, et qui perd toute contenance et distinction quand cet écho devient assourdissant. C’est la prise de la Bastille, et le cinéaste nous épargne les classiques : « Ce n’est pas une révolte, c’est une révolution » ou « Qu’on leur donne de la brioche ». Adapté du roman de Chantal Thomas, Les Adieux à la Reine cherche à raconter l’histoire au présent, hors de tout regard rétrospectif. Sur la forme, ce n’est pas toujours gagnant : la caméra à l’épaule et les zooms démontrent une certaine paresse dans la mise en scène, les dialogues manquent souvent de quotidienneté et la reconstitution parfois hasardeuse (on voit un interrupteur grossièrement dissimulé dans un des plans !) est très loin des libertés pop d’une Sofia Coppola.

La Reine de corps

Mais Jacquot arrive in fine à bousculer l’académisme qui menaçait son film en collant au plus près de son héroïne et de son point de vue. Non pas la Reine mais sa liseuse (Léa Seydoux, formidable de détermination et d’énergie), qui en tombe amoureuse puis se heurte aux humeurs changeantes de cette Marie-Antoinette isolée, n’ayant pour seule consolation que les bras de sa maîtresse Gabrielle de Polignac (Virginie Ledoyen, sensuelle et magnétique). Ce triangle amoureux renvoie au meilleur du cinéma de Jacquot : son envie de filmer de belles femmes secouées jusqu’à la déraison par leurs désirs. C’est par ce biais qu’il touche à la dimension la plus politique de son récit ; à l’aveuglement de l’aristocratie répond l’aveuglement amoureux qui conduit à oublier qu’entre les classes sociales, aucun rapprochement, même érotique, n’est vraiment possible. Le film s’achève sur un constat cruel, où c’est toujours le peuple qui doit se sacrifier pour les puissants. Vous avez dit actuel ?

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