La Terre outragée

Étrange film qui raconte en deux parties l’accident de Tchernobyl et ses conséquences vingt-cinq ans après sur une poignée de rescapés, avec la force visuelle du cinéma russe et la pesanteur psychologique du cinéma français. Christophe Chabert

En 1986, tandis que la centrale de Tchernobyl explosait, la vie continuait dans les villages environnants. À Pripiat, Anya et Piotr se marient, et la joie de cet amour juvénile va, en pleine cérémonie, être obscurcie par une menace que personne ne soupçonne, sinon un ingénieur ayant immédiatement compris l’ampleur de la catastrophe. Piotr, pompier, est appelé pour éteindre le feu ; il n’en reviendra pas, laissant Anya seule et marquée à jamais par le drame. Cette histoire, c’est celle que raconte Michale Boganim dans la première partie de La Terre outragée. Loin de s’en tenir à une reconstitution façon docu-fiction, elle saisit littéralement le spectateur par la force d’évocation des images : personnages et décors ne semblent faire qu’un au sein de plans composés dans la tradition du meilleur cinéma russe, avec un lyrisme visuel qui rappelle Klimov, Tarkovski ou Kalatozov. Dans ce bout d’Ukraine hors du temps et insouciante, seule une statue de Lénine en plein cœur du village vient rappeler que la liberté n’est que conditionnelle. Une fois la catastrophe arrivée, la machine étatique se met en marche et Boganim filme quelques séquences terrifiantes où les hommes sont arrachés de force à cette terre devenue dangereuse…

Un mauvais film français dans un bon film russe

Cette première heure fulgurante a pourtant un défaut : l’irruption d’une voix-off en français, qui commente au passé et sur un ton méditatif les événements. Comme si un autre film couvait derrière celui que l’on regardait, et n’attendait que le signal de la réalisatrice pour envahir tout l’espace. C’est ce qui arrive dans une deuxième partie nettement plus contestable : vingt-cinq ans après, quatre rescapés reviennent sur les lieux du drame, devenue une ville fantôme où se croisent des ouvriers, des touristes et quelques Tadjiks chassés par la guerre. Non seulement les trajectoires de fiction paraissent soudain artificielles, mais Boganim recentre le film autour d’Anya (Olga Kurylenko, ancienne James Bond girl dans un étonnant contre-emploi), tiraillée entre son envie d’exil et sa fidélité à la terre de son amour perdu. La psychologie prend le pas sur l’action et le dialogue vient affaiblir la richesse de l’image. Quelque chose d’un certain cinéma d’auteur français parasite alors ce poème cinématographique, noir et inquiet, qu’était La Terre outragée.

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