« Rendre la réalité poétique et la poésie réaliste »

Au bout du conte
De Agnès Jaoui (Fr, 1h52) avec Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri...

Entretien avec Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui. Propos recueillis par Christophe Chabert

Comment passez-vous d’un film à l’autre ? Est-ce que par exemple ici, l’envie était de travailler avec de jeunes acteurs ?
Agnès Jaoui : Oui et non.
Jean-Pierre Bacri : Non et oui. On a voulu écrire pour de jeunes acteurs au début.
Agnès Jaoui : Oui, on vieillit ! On commence toujours par établir ce que l’on veut faire, c’est déjà une grande partie du travail. Et ça fait très longtemps qu’on a envie de trouver des formes différentes, puisque le fond, les thèmes sont sensiblement les mêmes. Il y a des archétypes qui se retrouvent…
JPB : On a une aire d’exploration et on privilégiera telle ou telle région de cette aire.
AJ : En général, on n’arrive pas à trouver cette forme différente. Cette fois, on y est mieux arrivé.
JPB : On jubile à l’idée de trouver une forme ludique, comme on aime en voir en tant que spectateur. Je cite toujours Un jour sans fin, mais ça peut être autre chose. On avait imaginé une structure à la Rashomon, ou partir de la fin comme chez Pinter. On n’a pas grand chose à dire au début, donc il faut bien saliver. On engage des choses, puis le thème revient et nous absorbe. On lâche, avec regret car on a envie d’y arriver un jour, cette forme singulière et ludique, que l’on a un peu plus trouvée ici.

Ce genre de formes, vous les aviez expérimentées chez Resnais, en adaptant Ayckbourn dans Smoking / No smoking et en écrivant On connaît la chanson
AJ : Mais grâce à lui. C’est lui qui nous avait amené ces formes. Dans Cuisine et dépendances on avait trouvé une forme, en laissant tout dans le hors champ. Pour Le Goût des autres, on voulait écrire un film policier, et au bout de deux mois, on est revenu…
JPB :… à nos moutons. Mais il reste le garde du corps, la dealeuse de shit, le chauffeur…

Comment avez-vous construit stylistiquement le film et notamment les aquarelles qui ouvrent les séquences ?
AJ : Ça a fait partie des choses agréables du film : chercher sa forme. L’idée était de s’amuser avec les références de contes, les livres que l’on ouvre avec des chapitres illustrés. On a essayé des choses, j’ai fait des dessins, le chef déco m’a dit de mettre deux arbres à chaque fois, le chef op’ a apporté un livre sur les effets entre le petit et le grand. Après, c’était l’idée de jouer avec les codes de couleur, de s’amuser avec le plus de références possibles, de rendre la réalité poétique et la poésie réaliste.

Pour vos trois premiers films, vous revendiquiez une mise en scène invisible à la Woody Allen. C’est donc un changement...
AJ : C’est vrai. Le fait d’être dans le conte, de commencer par un rêve, m’a libéré et m’a donné envie de prendre la caméra comme un stylo. De la prendre pour commencer.

Je l’ai particulièrement ressenti dans une scène qui ne relève pas de la stylisation, mais qui m’a paru inédite chez vous, ce sont les plans presque documentaires dans les rues, la nuit, quand les personnages cherchent Laura…
AJ : Jean-Pierre m’avait donné l’idée de Gil Scott-Heron, la musique que l’on entend pendant la scène, et cela m’a aidé pour envisager cette méthode. Il y avait un clip d’ailleurs qui ressemblait un peu à ce que je voulais raconter : la ville, la nuit, avec tout ce qu’il y a de dangereux. Je l’ai montré au chef op et au monteur pour leur expliquer ce que je voulais. Et on est parti en voiture la nuit pour tourner à la volée.

Les deux générations qui se rencontrent dans le film provoquent une juxtaposition des choses : les jeunes sont dans le conte, les adultes dans la réalité. Au-delà des rapports parents-enfants, c’est comme un prolongement de la même histoire sur deux plans différents…
JPB : C’est exactement ce qu’on a voulu faire…
AJ : … mais on ne pensait pas à ce point. Je me souviens avoir dit à ma mère, qui s’est séparée de mon père après 25 ans de mariage, comme tous les couples autour d’elle, que c’était parce qu’à l’époque ils se mariaient tout de suite. J’avais la certitude qu’à force d’expériences, je finirai par trouver l’amour éternel. Quand on est jeune, on croit aux contes de fées. Ce n’est ni bien, ni mal ; c’est ! En même temps, si je pouvais dire aux jeunes filles que ce n’est pas grave si ce n’est pas aussi parfait, qu’il ne faut pas attendre le prince charmant…
JPB : Ce que tu dis souvent : n’attendez pas d’être révélée par un homme.

Le personnage de la mère qui a recours à la chirurgie esthétique fait le lien : c’est un personnage de conte de fée, mais qui doit affronter la réalité de l’autre monde…
JPB : On avait envie de parler de ce que représente pour les femmes cet arrachement à la jeunesse.
AJ : On se demandait ce qui perdure dans notre inconscient collectif de ces contes de fée souvent écrits il y a plusieurs siècles. La peur de vieillir est toujours incroyablement pertinente.

Dans le film, vous avez choisi d’élargir cette question du conte de fée à toutes les formes de croyances et de superstitions…
JPB : C’est venu très tôt, c’est une des fondations très profondes du scénario, ce regard sur la foi et les croyances. On voulait appeler ça Il était une foi, d’ailleurs. On voulait élargir le thème : dans tous les cas, c’est comment se rassurer, comment être bien…

Avec quand même une vision négative de tout ça, ce sont des blocages…
JPB : Pour certains, notre point de vue se voit peut-être d’avantage…
AJ : Non. Notre point de vue se résume aussi quand mon personnage dit : «Je crois à tout ce qui fait du bien». On est plutôt athée et on est plutôt rationaliste, mais…
JPB : Même moi, j’ai fait du chemin là-dessus. J’ai toujours été très goguenard là-dessus, sur les superstitions et les gens qui s’y prêtent. Je mets l’astrologie là-dedans, mais certains seront plus réactionnaires et mettront la psychanalyse. Tout d’un coup, tu réfléchis et tu te dis que tout n’est pas aussi simple et aussi stupide. Et les gens ont besoin de quelque chose qui leur fasse du bien.

C’est comme un besoin temporaire dans le film, une étape à dépasser…
AJ : Ça dépend pour qui. Pour ma fille, oui.
JPB : On voulait montrer cette façon dont les enfants plongent dans quelque chose, puis dans une autre la minute après avec la même fougue.

Comment avez-vous assemblé le casting ? Connaissiez-vous les acteurs ? Avez-vous fait des essais ?
AJ : Je fais toujours des essais. C’est trop important.
JPB : Sauf quand il y a une actrice avec qui on a vraiment envie de travailler, comme Dominique Valladier.
AJ : Mais les jeunes, je leur ai fait faire des essais. Nina Meurisse, Jean-Pierre me l’avait fait remarquer dans un film qui s’appelait Complices et elle est merveilleuse. Laura a été plus difficile à trouver.
JPB : C’était là où il y avait le plus de filles !
AJ : J’ai vu toutes les princesses du cinéma français ! J’avais vu Agathe Bonitzer dans un autre film, Arthur Dupont aussi.
JPB : Pour Arthur, ça a été facile.

Et Benjamin Biolay ?
AJ : J’ai tourné avec lui dans un film qui s’appelle L’Art de la fugue et je m’étais rendu compte que c’était un acteur.

C’est la première fois que vous travaillez avec le chef opérateur Lubomir Bakchev. Comment l’avez-vous rencontré et pourquoi l’avoir choisi ? Est-ce parce que vous tourniez pour la première fois en numérique ?
AJ : Les chefs opérateurs, c’est compliqué pour moi. Les grands chefs opérateurs sont pris longtemps à l’avance, et les deux avec lesquels je voulais travailler n’étaient pas libres. En fait, c’est plus la personnalité de Lubomir qui m’a plu, et le fait qu’il avait fait la plupart des films de Kechiche, donc qu’il était capable d’aller très vite. Et qu’il était rompu au numérique. Sur ce film-là, je savais qu’on était dans un budget serré que je ne pouvais pas dépasser d’une seconde, et Lubomir était très rassurant.
JPB : Il est très attachant.
AJ : On sent qu’il a quelque chose de solide et de très démerde. Tous les chefs opérateurs ont à un moment envie de faire joujou avec telle optique, telle lumière. Là, ce n’était pas possible, mais ça ne l’a pas dérangé. Il me disait toujours : «Essayons». J’avais plein d’idées qui ne marchaient pas du tout, et il essayait quand même, alors que j’ai compris après qu’il savait que ça ne marcherait pas. C’était une vraie collaboration.

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