The Cut

The Cut
De Fatih Akin (All-Fr, 2h18) avec Tahar Rahim, Simon Abkarian...

Fatih Akin passe à côté de son évocation du génocide arménien, transformée en mélodrame académique sans souffle ni ampleur, comme si le cinéaste avait été paralysé par l’enjeu. Christophe Chabert

Devant les premières séquences de The Cut, avec sa reconstitution si proprette qu’elle paraît totalement factice et ses images désespérément mièvres de bonheur familial édifiant avec un Tahar Rahim peu crédible en forgeron arménien murmurant des paroles sucrées à sa femme et ses filles, on se pince un peu. Est-ce bien Fatih Akin, le cinéaste rock’n’roll de Head on ou celui, à l’humanisme rugueux, de De l’autre côté, derrière la caméra ? Cette introduction semble au contraire singer un cinéma hollywoodien impersonnel qui s’emparerait d’un grand sujet : le calvaire de Nazareth qui, en 1915, va vivre le génocide organisé par les Turcs contre les Arméniens. Séparé de sa famille, condamné avec d’autres camarades d’infortune à des travaux forcés pour construire une route, il assiste, impuissant, à leur massacre et sera le seul rescapé de cette tuerie.

Les images ont beau chercher à tout prix à glacer le sang du spectateur, quelque chose ne prend pas, une étrange distance entre Akin et ce qu’il montre, comme s’il avouait son impuissance à donner de l’ampleur à son récit. De fait, The Cut ne quitte jamais le point de vue de Nazareth, accompagnant son voyage à la recherche de sa famille disparue, traversant le monde et devenant, autant qu’un témoin rendu muet du génocide, un acteur involontaire de la diaspora qui en a résulté. Même les autres personnages rencontrés ne dépasseront pas le stade de la figure schématique, privant le film de toute dimension épique.

La gêne face au génocide

Autre symptôme frappant de cet échec : l’incapacité à faire sentir le passage du temps autrement que par de grossiers artifices. Les années ont beau s’inscrire sur l’écran, marquant ainsi les ellipses de la narration, Rahim a beau se grimer (cheveux qui blanchissent, barbe qui pousse, puis que l’on coupe), jamais Fatih Akin ne parvient à communiquer au spectateur la durée de son errance, tout autant que les soubresauts historiques qui la ponctuent.

Cette hésitation entre le pur mélodrame et le film historique se ressent jusque dans la mise en scène, d’un académisme surprenant, ne prenant jamais le risque de brusquer une grammaire monotone où la caméra paraît toujours trop proche ou trop lointaine. Il ne suffit pas de simplifier son cinéma pour le rendre plus universel ; tétanisé par l’enjeu, Akin en fait l’amère démonstration, pour ce qui constitue la première grande déception de 2015.

The Cut
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