Birdman

Birdman
D'Alejandro González Iñárritu (EU, 1h59) avec Michael Keaton, Zach Galifianakis...

Changement de registre pour Alejandro Gonzalez Iñarritu : le cinéaste mexicain tout juste oscarisé laisse son désespoir misérabiliste de côté pour tourner une fable sur les aléas de la célébrité et le métier d’acteur portée par un casting exceptionnel et une mise en scène folle. Christophe Chabert

Partons du titre complet de Birdman : la surprenante vertu de l’ignorance. De la part d’un cinéaste aussi peu modeste qu’Alejandro Gonzalez Iñarritu, ce sous-titre a de quoi faire peur, tant il nous a habitués dans ses films précédents (Babel, Biutiful, ...) à donner des leçons sur la misère du monde sous toutes ses formes. Or, Birdman séduit par sa volonté de ne pas généraliser sa fable, circonscrite entre les murs d’un théâtre à Broadway : ici va se jouer à la fois une pièce adaptée de Raymond Carver et la tragi-comédie d’un homme ridicule, Riggan Thompson. Des années avant, il était la star d’une série de blockbusters où il jouait un super héros ; aujourd’hui, il tente de relancer sa carrière et gagner l’estime de ses contemporains en jouant et mettant en scène du théâtre "sérieux".

Le naufrage de son existence ne se résume pas seulement à ses habits de "has been" : sa fille sort d’une cure de désintox, son mariage a sombré et il se fait écraser par une star mégalomane et égocentrique, Mike Shiner, plus roué et cynique que lui pour conquérir les faveurs de la critique et du public. Pour filmer les secousses qui vont bousculer Thompson dans les jours précédents la première, Iñarritu fait un choix radicale dans sa mise en scène : tout sera filmé en un seul long plan-séquence dans lequel pourront s’immiscer ellipses temporelles, trouées oniriques, effets spéciaux spectaculaires et même irruption d’éléments off comme ce batteur de jazz dont les rythmes scandent la bande-son frénétique de cette comédie noire.

L’homme derrière l’oiseau

Cette continuité visuelle est un tour de force, dont il faut créditer le chef opérateur Emmanuel Lubezki qui, après ses prouesses chez Malick et Cuarón, confirme son statut de grand expérimentateur de l’image ; mais elle crée également du sens. Le théâtre n’est-il pas après tout, pour un acteur, un plan-séquence de deux heures où l’on n’a pas le droit à l’erreur ?

Birdman est donc avant tout un hommage aux comédiens, un Opening night (film de John Cassavetes de 1977) sous acide, plus pertinent quand il se concentre sur ses personnages que lorsqu’il tente, maladroitement, de régler quelques comptes avec la critique ou les réseaux sociaux. Il faut dire que le casting est parfait : Michael Keaton, bien sûr, dont la transparence à son personnage (de Batman à Birdman, il n’y a qu’un volatile) crée un troublant effet de réel, mais aussi un Edward Norton déchaîné et remarquable, aussi insupportable d’égocentrisme qu’émouvant lorsqu’il courtise sur le toit une Emma Stone elle aussi rayonnante. Le désespoir d’Iñarritu cède devant l’humanité de sa galerie de portraits, et Birdman s’affirme sans problème comme son meilleur film.

Birdman
D’Alejandro Gonzalez Iñarritu (ÉU, 1h59) avec Michael Keaton, Emma Stone, Edward Norton…

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