Big Eyes

Tim Burton se livre à une étonnante autocritique déguisée dans un film trop plat pour être réellement passionnant.

Il n’y a pas de scandale à dire que la carrière de Tim Burton a, depuis dix ans, pris du plomb dans l’aile. Entre serment d’allégeance à l’empire Disney (Alice au pays des merveilles) et déclinaison paresseuse de son propre style (Sweeney Todd, Dark Shadows), l’ex-trublion semblait rangé des voitures, VRP d’une signature graphique vidée de sa substance subversive.

à lire aussi : Dark shadows

La surprise de Big Eyes, c’est qu’il marque une rupture nette avec ses films récents. Il y a certes, dans cette histoire certifiée Amérique des sixties, des pelouses verdoyantes devant des pavillons soigneusement alignés, des coupes de cheveux parfaitement laquées et des peintures bizarres d’enfants à gros yeux (celles que dessine Margaret Keane mais que son escroc de mari va s’approprier, et avec elles gloire, argent et carnet mondain), ce n’est toutefois qu’une surface de convention, dictée par l’authenticité du fait divers raconté plutôt que par une volonté auteurisante.

Car Big eyes relève d’un storytelling très sage, presque plat, comme si Burton jouait profil bas pour se faire oublier derrière son intrigue et ses personnages. Il commet toutefois une flagrante erreur de casting : si Amy Adams est excellente, Waltz en fait trop, et le couple qu’ils forment à l’écran paraît déséquilibré et peu crédible. Autre lourdeur : la voix-off du journaliste qui raconte cette histoire vraie, commentaire intempestif qui ne fait que souligner des évidences sans les mettre en perspective.

à lire aussi : Tim Story

Ce film scolaire et décevant dans sa facture s’avère pourtant passionnant dans son sous-texte : impossible de ne pas voir derrière cette histoire de signature falsifiée et d’imposture artistique transformée en produit commercial une autocritique de Burton vis-à-vis de sa propre carrière, comme s’il se projetait à la fois dans la créatrice sincère et dans le faussaire qui la spolie, plus docteur Jekyll que docteur Frankenstein. Il n’est pas impossible, du coup, que Big Eyes soit aussi le signe d’une renaissance…

Christophe Chabert

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 12 février 2019 En général, la fonction crée l’organe. Parfois, une disposition crée la fonction. Comme pour l’ancien vice-président des États-Unis Dick Cheney, aux prérogatives sculptées par des années de coulisses et de coups bas, racontées ici sur un mode...
Samedi 6 janvier 2018 Et si l’humanité diminuait à une taille d’environ 12 cm pour jouir davantage des biens terrestres ? Dans ce raisonnement par l'absurde, le cinéaste Alexander Payne rétrécit un Matt Damon candide à souhait pour démonter la société de consommation et...
Mardi 6 janvier 2015 Les saisons se suivent et ne se ressemblent pas : de janvier à juin, c’est le retour des super auteurs du cinéma américain avec des films qu’on dira, par euphémisme, excitants. À l’ombre de ces mastodontes vrombissants, une poignée de cinéastes...
Mardi 2 septembre 2014 Moins flamboyante que l’an dernier, la rentrée cinéma 2014 demandera aux spectateurs de sortir des sentiers battus pour aller découvrir des films audacieux et une nouvelle génération de cinéastes prometteurs. Christophe Chabert
Mardi 18 mars 2014 En racontant l’histoire d’amour entre un homme solitaire et une intelligence artificielle incorporelle, Spike Jonze réussit une fable absolument contemporaine, à la fois bouleversante et effrayante, qui dresse un état des lieux de l’humanité...
Vendredi 13 décembre 2013 D’un côté, il y a Jack, grand squelette qui règne sur le monde d’Halloween et ses monstres effrayants ; de l’autre, il y a la ville de Noël et son Santa (...)
Lundi 17 juin 2013 Remettre Superman sur la carte du blockbuster de super-héros après l’échec de la tentative Bryan Singer : telle est la mission que se sont fixés Christopher Nolan et Zack Snyder, qui donnent à la fois le meilleur et le pire de leur cinéma respectif...
Mardi 8 janvier 2013 Chevauchée sanglante d’un esclave noir décidé à retrouver sa fiancée en se vengeant de blancs cupides et racistes, "Django Unchained" n’est pas qu’une occasion pour Quentin Tarantino de rendre hommage aux westerns ; c’est aussi un réquisitoire...
Mercredi 2 janvier 2013 Après "There will be blood", Paul Thomas Anderson pousse un cran plus loin son ambition de créer un cinéma total, ample et complexe, en dressant le portrait d’un maître et de son disciple dans une trouble interdépendance. Un film long en bouche mais...
Jeudi 10 mai 2012 Tim Burton met un frein à la crise créative qu’il traversait depuis trois films avec cette comédie où il cherche à renouer avec la fantaisie noire de ses débuts, sans y parvenir totalement. Christophe Chabert
Vendredi 2 décembre 2011 Huis clos à quatre personnages tiré de la pièce «Le Dieu du carnage» de Yasmina Reza, le nouveau film de Roman Polanski est une mécanique diabolique et très mordante, sur la violence masquée derrière les apparences sociales, avec un quatuor de...
Mercredi 5 janvier 2011 Faute d’orientation claire et de script solide, cette comédie d’action pourtant prometteuse ne transcende jamais son statut d’Iron Man du pauvre. Le premier gros gâchis de talents de 2011.

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X