Cristian Mungiu : « Avoir la vraie vie sur l'écran »

Baccalauréat
De Cristian Mungiu (Rou-Fr, 2h08) avec Adrian Titieni, Maria Dragus...

Découvert et palmé à Cannes avec "4 mois, 3 semaines, 2 jours" (2007), le cinéaste roumain Cristian Mungiu poursuit sa route avec une minutieuse exigence, en conjuguant lucidité et bienveillance – pour ses personnages comme ses comédiens. En témoigne "Baccalauréat", en salle cette semaine.

Dans Baccalauréat, votre personnage Romeo n’habite nulle part : ni chez lui, ni chez sa maîtresse, ni chez sa mère. Il est presque un sans domicile fixe…

Cristian Mungiu : C’est quelqu’un qui cherche des solutions ; il se trouve dans un moment de la vie où il a davantage de doutes que de réponses : il part d’un canapé, il finit sur un autre canapé… Je voulais faire le portrait de quelqu’un qui se sent coupable, et essayer que le spectateur comprenne ce qu’il ressent.

Dans un film, c’est compliqué de parvenir à cela ; encore plus lorsqu’il est tourné en plan-séquence. J’espère que l’on partage cette angoisse de Romeo qui, parce qu’il mène une double vie, a toujours l’impression que quelqu’un le suit.

Pourquoi êtes-vous autant attaché au plan-séquence ?

C’est ma philosophie. Lorsqu’on utilise le montage, ce n’est pas compliqué de faire du cinéma. Mais si l’on crée des scènes de 4, 5, 6 ou 8 minutes comme je le fais en plan-séquence, alors il faut être précis, comme un chorégraphe dans un spectacle. J’essaie de respecter des continuités de temps pour avoir la vraie vie sur l’écran.

Ensuite, je répète beaucoup, car c’est dans le tournage que se fait le film. Je fais beaucoup de prises, ce qui est très difficile pour les comédiens. Après dix ou vingt prises, ils entrent dans une routine, ils ne réfléchissent plus à ce qu’ils doivent dire, car il savent leur texte. On prend alors des décisions très précises sur ce qu’ils doivent faire en détail. C’est là que la liberté vient ; que les comédiens se concentrent sur ce qu’ils ressentent en tant que personnages.

Les dix dernières prises sont bonnes pour moi. Parfois, il faut aller au-delà de la vingt-cinquième. Si à 18h je sens que je n’aurai pas la bonne, je peux décider de continuer le lendemain. Ça aide que je sois mon propre producteur, je n’ai pas de pression extérieure (sourire). Et à la fin, je ne mets pas de musique, car on n’entend pas de musique quand on ressent de l’émotion dans la vraie vie.

Comme le public roumain a-t-il reçu votre film ?

Très bien. Beaucoup de gens sont venus le voir… Mais pas la presse, qui a trouvé que nous ne donnions pas le meilleures images du pays aux Occidentaux. Cela dit, nous n’avons pas de presse culturelle, ni de presse cinéma d’ailleurs : seuls des journalistes de quotidiens généralistes ont écrit sur le sujet du film, pas sur sa forme.

En tant qu’artistes, nous avons le devoir de dire ce que nous pensons, de changer les choses par l’image. Si nous les cachons, ça n’aidera pas à les changer. Le paradoxe, c’est que les gens se sentent très fiers que j’aie eu le prix de la mise en scène à Cannes, Mais, lorsque je leur demande s’ils ont vu mes films, ils me disent "pas encore".

Les récompenses sont plus populaires chez nous que les films, car nous n’avons pas vraiment de tradition cinéphile. En plus, en une génération, nous avons perdu 400 salles de cinémas et l’habitude de découvrir les films avec les autres dans le noir. Les jeunes regardent les films sur internet ; ce n’est pas pareil…

Avez-vous le sentiment que votre génération est déçue par l’évolution du pays depuis la fin de l’ère Ceaușescu ?

Nous n’avons peut-être pas accompli de progrès assez important en vingt-six ans. D’un point de vue historique, vingt-six ans pour un pays, ce n’est pas grand-chose, mais en même temps à l’échelle d’une vie personnelle, c’est énorme ! Après la chute du communisme, on a commencé par avoir de grands espoir : à croire que la liberté, l’honnête tomberaient du ciel, que la société serait exceptionnelle… Aujourd’hui, il y a des frustrations : il faut toujours connaître quelqu’un, entretenir des réseaux et des relations.

Chaque génération depuis la Seconde guerre mondiale a été appelée la "génération du sacrifice" : celle de mes parents, la mienne (à cause du décret Ceaușescu sur l’avortement) et à présent celle de nos enfants. Quand il n’y a que des "générations du sacrifice" dans un pays, c’est qu’il faut changer quelque chose.

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