Thierry de Peretti : « Il faut arrêter Astérix en Corse ! »

Une vie violente
De Thierry de Peretti (Fr, 1h53) avec Jean Michelangeli, Henry-Noël Tabary...

Avec "Une vie violente", en salle le 9 août, le metteur et scène, acteur et cinéaste Thierry de Peretti consacre un film à son île d’origine, la Corse. Une œuvre politique, loin des clichés, qu’il évoque avec son comédien fétiche Henri-Noël Tabary.

Thierry, depuis combien de temps portiez-vous Une vie violente ?

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Thierry de Peretti : Depuis Les Apaches, je cherchais un récit capable d'évoquer la force romanesque de ce que je vois et ressens en Corse sur la société corse de cette époque-là. Mais pour moi, c’est moins une reconstitution qu’une évocation ou qu’un dialogue avec ces années-là. Ce n’est pas le film ultime sur le nationalisme en Corse et la lutte armée. Le personnage de Stéphane passe par là comme Rimbaud passe par la poésie et se rêve ailleurs. Il est un peu comme le Prince Mychkine dans L’Idiot de Dostoïevski : il nous fait pénétrer plusieurs cercles de la société : les étudiants, les petits voyous, les nationalistes…

Henri-Noël, comment vous êtes vous immergé dans ce rôle et ce contexte ?

Henri-Noël Tabary : Un mois avant de tourner, Thierry a voulu que Jean Michelangeli [l’interprète de Stéphane NDLR] et moi soyons dans la ville de Bastia pour la préparation. On était payés à boire des verres, à aller au resto… (sourires). C’était de l’imprégnation, ça nous a beaucoup aidés. En deux semaines j’ai repris l’accent que j’avais perdu en montant à Paris il y a 10 ans !

Comme ce sont des petites villes, tout le monde savait ce qu’on venait faire ici et nous parlait : on vivait le film même en dehors du film. On nous a raconté mille histoires tout et son contraire. Notre parti pris a été de créer nos personnages à partir de ces histoires. Le mien est tiré de quelqu’un ultraviolent pour certains, ultra gentil pour d’autres, voire fou tout dépend qui parle.

Parmi des gens qui ont des petits rôles, certains ont eu des activités politiques ou fait de la prison l'un d’entre eux ne s’en cache pas, il est même conseiller technique du film. C’était très intéressant : il nous expliquait la façon dont il s’habillait, de mettre une arme je n’en ai jamais portée.

Il y a très peu de films sur le nationalisme corse, c’est même l’un des premiers…

TdP : Oui, c’est le premier de fiction. La toile de fond, c’est un personnage qui se trouve accaparé par un groupe d’hommes très impliqués dans les questions politiques et clandestines en Corse. Il décide de s’y investir, d’y travailler et d’y croire. Toute aussi importante pour moi est la question de ses amis, qui viennent de la ville de Bastia ce n’est pas une histoire d’Ajaccio. Bastia était traversée par ces questions-là de façon plus violente. J’ai le même âge, je suis de la même génération que ces personnages, on a les mêmes backgrounds socioculturels, mais pas le même parcours.

Vous refusez ici très nettement ce "pittoresque corse" qui pollue nombre de films et téléfilms…

TdP : Ça faisait partie du projet politique. En Corse ou ailleurs, la façon dont on représente les personnes et les territoires, elle doit être en 2017 juste, précise et profonde. Il faut arrêter Astérix en Corse ! Je ne dis pas qu’il n’y a pas une mémoire commune, une douleur commune ; je n’ai rien contre les belles plages et la belle montagne. Après, je montre ce que je trouve beau et mystérieux comme les cafés, hérités du néoréalisme ; je choisis de ne pas montrer ce que je ne trouve pas intéressant.

Vous dénoncez la violence, mais pour cela vous devez la représenter. C’est un cas conscience…

TdP : Dans le film, il y a finalement assez peu de scènes de violence. J’essaie de les montrer dans ce qu’elles ont de très crues et en même temps de très traumatisantes. La solution du plan-séquence permet de les montrer dans un seul et même tenant, mais aussi de mettre le spectateur dans une situation très inconfortable une confrontation avec la violence, sans "mode d’emploi", en direct sous ses yeux, comme une chorégraphie. Le spectateur doit se débrouiller avec le désarroi provoqué par le plan-séquence. Mais j’ai une foi dans le cinéma : à partir du moment où on met les images, où on montre les choses qui vous hantent, elles cessent de vous hanter. C’est comme un cauchemar : il fait un peu moins peur quand on le raconte.

Comment vivez-vous cette réputation de violence attachée à la Corse ?

HNT : Ni mal, ni bien : elle est vraie. Vous avez vu la scène de violence, où ça tire ? C’est la réalité. Quand on est "en bas", on ne se rend pas compte. Mes amis parisiens me prenaient pour un menteur quand je leur racontaient des histoires. On est dans les rapports de force et de violence. Et du fait de cette réputation, lorsqu’il y a un mort en Corse, il est dans le journal. C’est un folklore, ça plaît beaucoup. Mais comme dans tout folklore, il y a un peu de vérité.

Aujourd’hui, le nationalisme est moins "occulte" ; il est devenu politiquement institutionnel…

HTN : Même les élus disent que la violence et les armes n’ont plus leur place ; c’est quand même une grande avancée ! Mais les jeunes qui ont 30 ans, allez leur dire ça : ils sont révoltés, comme la "génération sacrifiée" du film.

Avez-vous présenté le film sur l’île ?

HNT : Il y a eu une projection à Porto-Vecchio et une à Bastia. Celle à Porto-Vecchio s’est très bien passée : j’ai invité plein d’amis ; je voulais vraiment qu’ils voient le film, je pensais que ça allait faire résonance. Femmes et hommes sont sortis bouleversés. Des amis qui vivent à l’année sur place m’ont dit : « j’aurais pu être au milieu de ça ». J’ai moins parlé avec ceux de la génération sacrifiée mais j’ai eu des retour indirects de personnes très concernées, qui ont été touchées parce qu’elles ont senti qu’il n’y avait pas de jugement de la part du réalisateur ni de notre part dans le jeu. On n’est pas la pour juger les gens, mais pour essayer de comprendre.

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