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Kenneth Branagh : « Lorsqu'il s'agit de moustaches, la taille, ça compte ! »
Par Vincent Raymond
Publié Lundi 11 décembre 2017 - 3313 lectures
Photo : Twentieth Century Fox
Le Crime de l'Orient-Express
De Kenneth Branagh (ÉU, 1h54) avec Kenneth Branagh, Johnny Depp...
Les plus fameuses moustaches de la littérature policière sont de retour sur Kenneth Branagh. L'acteur et réalisateur était sans doute le mieux placé pour donner, des deux côtés de la caméra, une nouvelle existence cinématographique au "Crime de l'Orient-Express", classique de la littérature policière signé Agatha Christie. Rencontre avec un artiste à l’humour et l’élégance toutes britanniques, et critique de ce "whodunit all-star game" (Michelle Pfeiffer, Johnny Depp, Penélope Cruz…) promesse d’une jolie série.
Réaliser ce film, était-ce pour vous le moyen de prendre part au meurtre tout en incarnant le personnage d’Hercule Poirot ?
à lire aussi : "Le Crime de l'Orient-Express" : crème de Poirot à la neige
Kenneth Branagh : C’est la première fois que j’ai l’occasion d’être à la fois réalisateur et détective, et je trouve que c’est un mélange parfait, puisque tous deux sont à la recherche de la vérité. Et lorsque Hercule Poirot mène son investigation pour trouver qui a commis le crime, il demande aux personnages d’être soit à l’intérieur, dehors, dans la cuisine, dans le tunnel pour les interroger – ce sont des indications de metteur en scène, c’est une mise en scène. Metteur en scène et détective sont à la recherche d’une vérité exprimée par l’acteur ou par le personnage : il s’agit toujours de débusquer la vérité et le mensonge. Et en même temps, c’est très amusant d’être au milieu de tout cela.
Le Crime de l’Orient-Express arrive après Cendrillon ou Thor que vous avez également réalisés. Y a-t-il chez vous une volonté de vous approprier des thèmes connus pour les rendre contemporains ?
Pour moi, la modernité vient de l’intérieur. Qu’est-ce que le classicisme, sinon une œuvre contemporaine avec une structure classique ? J’aime la forme cinématographique classique : je pense à John Ford, John Sturges, David Lean et à l’emploi du 70 mm. Ce qui rend tout ici contemporain, c’est la qualité du jeu des acteurs. Un jeu à la fois cru, parfois passionné, parfois étonnant, parfois primal dans la violence qu’ils expriment à certains moments. L’écrin est très classique, mais il y a cette explosion de violence primitive faisant que nous sommes également dans le passionnel.
Sachant que l’intrigue est connue de la majorité du public, n’est-ce pas une forme de défi que d’adapter ce roman ?
Déjà, on a changé le début et la fin (sourire). Le roman ne commence pas à Jérusalem et on ne voit pas Poirot en pleine action. Mon but ici, c’était d’introduire un nouveau Poirot, avec des obsessions compulsives, une tristesse, une mélancolie : on sent qu’il porte tout le poids du monde. Lorsqu’il arrive dans le train, il se dit qu’il n’y a rien qui existe entre le bien et le mal. Mais lorsque l’on arrive au dénouement, il prend conscience d’une zone grise et il se trouve confronté à un dilemme : que se passe-t-il lorsqu’il y a mort d’enfant ? N’y a-t-il pas matière à réflexion ? Cet aspect mélancolique de Poirot, ce dilemme moral ont été centraux dans ma réflexion de réalisateur et d’acteur.
Quelles attentions avez-vous portées à la moustache de Poirot ?
J’ai beaucoup parlé avec Mathew Prichard, qui est le petit-fils d’Agatha Christie, qui l’a connue et a grandi avec elle. Âgé de plus de 70 ans aujourd’hui, il a vu plusieurs versions de son travail. Avant de le rencontrer, je me disais qu’il voudrait parler des thèmes, des actions, des personnages. Mais en fait, sa première question a été : Et la moustache ? Quel look allez-vous lui donner ?
La question était vraiment sérieuse. Parce que cette moustache, c’est le masque de protection d’Hercule Poirot, son poste d’observation – et j’ajouterais, à titre personnel, l’ennemi de la nourriture. Le processus m’a pris plusieurs mois, car j’essayais de trouver une justification à une phrase précise d’Agatha Christie elle-même qui disait de Poirot qu’il avait « les plus magnifiques moustaches – au pluriel – de toute l’Angleterre ». Pour une fois, je peux dire que lorsqu’il s’agit de moustaches, la taille, ça compte ! (sourire)
En quoi le train de luxe l'Orient-Express était-il le théâtre idéal pour ce crime ? Comment l’avez-vous appréhendé en tant que réalisateur ?
En théorie, un huis clos donne une dimension claustrophobique à un drame. La beauté de ces espaces confinés augmente effectivement la tension. Je voulais que le public voie et vive l’atmosphère ; j’ai donc filmé l’intérieur du train, mais aussi en-dessous, les côtés, sur les quais, les tunnels afin que l’on sente les dangers représentés par le viaduc et le précipice. Ainsi, on se trouve à la fois enfermé à l’intérieur des compartiments et à l’extérieur dans un environnement hostile. J’ai beaucoup aimé cette théâtralité ludique, ou faire la présentation de tous mes personnages dans un long plan à la steady-cam. Cela a pris une journée entière de répétitions, c’était coûteux, tout le monde était nerveux, mais c’était jouissif.
Pour la découverte du corps, j’ai fait un plan du dessus, un peu à la Hitchcock dans Le Crime était presque parfait parce que je voulais que le spectateur comme les passagers sachent qu’il y a eu quelque chose d’horrible, mais partagent cette expérience de ne pas voir tout de suite la victime. Le huis clos, c’est la possibilité d’être dans la séduction, dans la diversion et évidemment le suspense.
Lors de la scène finale, les suspects sont placés comme les apôtres lors de la Cène. Jusqu’à quel point cela est-il ce volontaire ?
Partout où je vais, j’essaie de voler un peu de la culture du lieu où je suis. À Paris par exemple, je vais essayer de "voler" des idées à l’exposition Gauguin. Il y a deux ans, j’étais à Milan pour la promotion de Cendrillon, j’ai profité de 30 minutes de pause pour aller voir La Cène de Léonard de Vinci. Comme tout le monde depuis des siècles, j’ai été fasciné et cela m’a laissé une impression vraiment indélébile.
Quand j’ai tourné le film, j’avais le sentiment qu’il fallait à la fois que je capture suspects et coupables, mais pas à l’intérieur du train. Dans le très grand film de Sidney Lumet avec Albert Finney, Poirot marche à la fin dans le train, mais il n’y a pas d’expansion, c’est limité comme visuel. J’avais envie de faire de ces douze suspects les douze disciples de Jésus. Comme une envie que, de façon subliminale, le public et moi nous demandions : qui est Judas, qui est le traître ?
Auprès de quels films et de quels cinéastes trouvez-vous votre inspiration ?
Je regarde des films de tout genre. Ma compagne, par exemple, adore les films d’horreur, donc j’en vois beaucoup. Mais j’aime autant le cinéma populaire que le cinéma d’art et d’essai pointu. Pour Le Crime de l’Orient-Express, j’ai repensé au Temps de l’innocence de Martin Scorsese. Grâce aux décors de Dante Ferretti – avec qui j’ai travaillé pour Cendrillon – je me sentais totalement en immersion, je pouvais sentir les fleurs, toucher les matières, je marchais dans les rues de New York. Scorsese fait plonger le spectateur dans un univers pourtant lointain.
J’ai aussi revisité La Prisonnière du désert de John Ford. J’aimais l’idée de ces écrans larges, avec Monument Valley et les visages de John Wayne et Natalie Wood ; ces éléments de nature immenses. Comme je suis en France, ça ne vous étonnera pas, mais Les Enfants du paradis de Marcel Carné a eu une grande influence sur moi. Quand j’étais plus jeune, on me comparait à Jean Gabin. Je pensais que je ne pourrais jamais faire du cinéma comme lui, il était beaucoup plus beau. Et pourtant, j’y suis aujourd’hui. Tous ces films m’ont inspiré…
Agatha Christie disait que l’Orient-Express était le train de ses rêves. Et pour vous ?
J’avais sept ans quand je suis monté dans ce train. En arrivant dans mon compartiment après le dîner, j’ai découvert le petit lavabo, la commode et le lit déjà fait. J’ai trouvé ça tellement malin ! Quand je me suis réveillé le lendemain matin, avec le croissant et le café au lit, les Alpes défilaient et j’étais bercé par l’Orient-Express. Huit heures plus tard, les portes se sont ouvertes et j’étais à Venise devant le Grand Canal. C’était plutôt magique…
Êtes-vous prêt à effectuer une croisière sur le Nil ?
C’est au public d’en décider. Michael Green le scénariste a très envie et j’ai envie de renaître dans la peau de Poirot. Je sens que Le Crime… est le début de quelque chose. Bien sûr, il y a eu ce voyage à bord de l’Orient-Express, mais j’ai envie (tout comme vous) d’en savoir plus sur cette mystérieuse femme, Katherine, dont Poirot conserve le portrait. On a une très belle idée à son sujet. Comme les romans d’Agatha Christie sont des histoires d’obsessions amoureuses, de dangers, ce sera un peu Agatha Christie rencontre Liaison Fatale ! Oui, on a vraiment une idée et, tenez, un autre teaser, : on a une idée pour la moustache. Je ne vous en dis pas plus, mais peut-être qu’elle aura un look différent. Peut-être nattée… (sourire)
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