Xavier Giannoli : « "L'Apparition" est un film sur le doute »


Après "Marguerite", Xavier Giannoli revient avec "L’Apparition". Vincent Lindon y campe un journaliste envoyé par le Vatican dans les Alpes, où une jeune fille affirme avoir eu une apparition de la Vierge. L’enquête est ouverte…

Qu’est-ce qui vous a mené sur ce chemin de la foi ?

à lire aussi : "L'Apparition" : en présence d’un doute (et d'un Vincent Lindon magistral)

Xavier Giannoli : Je ne crois pas que L’Apparition soit un film sur le chemin de la foi. J’ai lu un fait divers où il était question d’une enquête canonique – c’est-à-dire une enquête diligentée par un évêque pour essayer de faire la lumière sur un fait surnaturel, "apparitionnaire". J’ai tout de suite compris que c’était un sujet de film, de cinéma très romanesque et très intéressant.

J’ai été baptisé, j’ai reçu une éducation chrétienne, mais je ne suis pas pratiquant et je pense comme tout le monde que cette question du religieux, de la foi, de l’existence ou de l’absence de Dieu est une question essentielle de nos vies. J’avais l’intuition que l’enquête était une proposition cinématographiquement forte et originale.

Si ce n’est pas un film sur la foi, alors qu’en est-il ?

C’est un film sur le doute. Des films sur la foi, j’en ai vus. Là, ce qui m’intéressait, c’est d’avoir le point de vue d’un sceptique sur un mystère. J’ai donc une approche documentaire, argumentée, étayée par une longue enquête sur ces faits-là. À aucun moment, le film ne fait du prosélytisme ; il n’est pas un film évangélique.

Ici, je vais suivre un personnage qui aimerait savoir si tout cela est un mensonge ou pas. Est-ce que le mensonge est simplement cette jeune fille, Anna, qui affirme avoir vu une apparition ou est-ce que c’est une proposition chrétienne religieuse qui est un mensonge et une illusion? Ce que je trouvais beau dans cette enquête, c’est qu’elle est très concrète et factuelle. Elle s’ouvre sur un mystère comme dans un bon film policier. C’était ça que je cherchais.

Les mystères et les impostures sont une constante dans votre œuvre…

Je ne le décide pas, ni ne le maîtrise, cela vient comme ça. À chaque fois, c’est très important pour moi de découvrir de nouveaux personnages, de raconter de nouvelles histoires, d’essayer de trouver des histoires que personne n’a racontée, comme ce fait divers avec cet homme qui a construit une autoroute [son film À l’origine NDLR. Puis, je me rends compte que, très vite, ces histoires traversent des thèmes qui se répondent, où il est question de mensonge, d’imposture, de recherche de la vérité, de croyances et d’aventures.

Parce que ce qui m’intéresse, c’est le goût de l’aventure humaine dans un film. Je serais bien incapable d’être mon propre exégète ! C’est très étrange de voir qu’effectivement, quelque chose me ramène à ces histoires. À l’origine, c’est le cas de le dire, il y a peut-être quelque chose qui a à voir avec la foi (sourires). Est-ce que la religion est un mensonge ou une usurpation, ou est-ce qu’elle a au contraire une vérité humaine importante pour nous ? Peut-être que quelque chose se passe là…

Vous montrez que le Vatican préfère considérer comme incertains ou faux des événements apparitionnaires peut-être authentiques…

Un théologien m’a dit que l’Église préférera toujours passer à côté d’un vrai événement plutôt que de reconnaître une imposture. Il ne faut pas du tout croire que l’Église est obsédée à l’idée d’avoir des gens qui disent qu’ils ont vu la Vierge ou assisté à un miracle. Au contraire, la foi est plus intéressante et mystérieuse.

Que signifie cette douleur à l’oreille qu’a le personnage de Jacques dans votre film ? Était-ce pour créer en lui une sorte de fragilité, un déséquilibre ?

J’ai un acouphène à l’oreille gauche. Les gens, qui connaissent cela, savent à quel point c’est difficile. Et puis j’ai un drôle d’instinct quand j’écris : si le personnage restait théorique, pour moi, ce serait une catastrophe ! Il faut qu’il s’incarne, il faut qu’il ait un corps. Mettre à l’épreuve physiquement un personnage de fiction, c’est lui donner un corps. S’il se tord la cheville, s’il se prend la main dans une porte, soudain il existe. Il n’est plus une abstraction.

L’idée était aussi de laisser en lui la trace physique du passé, de ce qu’il a vécu au début, et puis le fragiliser en perspective. Tout ce qui touche à la douleur physique, à la maladie, m’importe, comme pour tout le monde.

À la fin du film, lors du classement de dossier dans les archives, il y a une parenté d’images assez frappantes avec Les Aventuriers de l’Arche perdue...

Cela vient bien de là. C’est très proche. Il y a une résonance. Le plan n’est pas du tout pareil, mais c’est le cheminement d’un dossier extraordinaire et miraculeux, perdu parmi d’autres. Et seul le spectateur sait à quel point c’est précieux. Et il connaît ce secret égaré au milieu d’autres choses.

Spielberg est un très (très) grand metteur en scène. Pardon de dire une telle banalité, mais chez certains cinéphiles, on parle de lui comme d’un faiseur. Par exemple, E.T raconte l’histoire d’un être qui descend du ciel, qui fait des miracles, qui est ami avec les enfants, qui meurt et qui ressuscite, et qui retourne au ciel.

Cette dimension spirituelle du cinéma, à commencer par les films de Steven Spielberg, est conbstutantielle au cinéma, un appel vers l’au-delà, à un appel vers le mystère. Que ce mystère s’incarne dans de la science-fiction, l’apparition d’un extraterrestre ou une jeune femme qui affirme avoir vu une apparition, on interroge profondément ce qu’est le cinéma, et ce qu’il a de merveilleux qui est de nous faire croire à une histoire.

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